Le réalisateur Jacques Tati sort le film Playtime en 1967. Cette œuvre conceptuelle, qui critique avec humour la course à la modernité, a causé la ruine de son auteur, mais l'a rendu éternel auprès des cinéphiles du monde entier.
Né en 1907 en banlieue parisienne, Jacques Tati a vécu plusieurs vies avant d'accéder à l'univers artistique. A 20 ans, il se forme au métier d'encadreur auprès de son grand-père dans l'entreprise familiale. Quelques années plus tard, lors d'un stage en Angleterre, le jeune homme se découvre une passion pour le rugby. De retour au pays, il intègre le Racing Club de France où il s'initie aux spectacles comiques avec ses coéquipiers.
A partir de 1946, Jacques Tati devient cinéaste. C'est en visitant la côte Atlantique que lui vient l'idée de créer un nouveau type de film. Les Vacances de Mr. Hulot, sorti en 1953, met en scène un étrange personnage, quasi muet et particulièrement maladroit. L'individu longiligne, vêtu d'une veste mal ajustée, d'un chapeau et la pipe au bec, est inspiré du grand-père de Nicolas Hulot que le réalisateur a connu à l'enfance. Jacques Tati, qui interprète Mr Hulot, rejoue en 1958 le même perso dans Mon Oncle qui obtient plusieurs récompenses dont le prix spécial du jury à Cannes et l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Avec ces deux films comiques au compteur, Jacques Tati acquiert la renommée internationale qui lui permet de lancer Playtime, un projet ambitieux tout à sa démesure. Pour produire l’œuvre, une centaine d'ouvriers du bâtiment sont mobilisés pour fabriquer des décors pharaoniques afin de reconstituer une ville entière. Le film propose une chorégraphie lyrique de deux heures, dans laquelle une somme d'individus se croisent et se recroisent dans un Paris méconnaissable en monstre urbain déshumanisé.
Un objet d'art comique devenu culte
Outre Mr. Hulot, qui pendant tout le récit tente maladroitement de caler des rendez-vous, on observe les va-et-vient incessants de touristes américaines qui s'émerveillent sur à peu près tout ce qu'elles voient. Dans une autre scène devenue mythique, le cinéaste filme l'intérieur d'appartements-vitrines, semblables à ce que l'on peut voir aux Galeries Lafayette : ses habitants y dînent tout en regardant la TV, sans la moindre intimité. Tout le film progresse ainsi, de séquences en séquences, au cours desquelles, le spectateur hésite entre rire et consternation.

Playtime, dont le budget a triplé pendant la réalisation, subit un semi-échec en France. Bien que sorti dans plusieurs pays, le film ne sera pas distribué aux États-Unis au grand dam de Jacques Tati. La société de production du réalisateur n'y résistera pas et ce dernier sera contraint de revendre les droits sur ses œuvres pour éponger les dettes. Si Playtime n'a pas bien fonctionné en salles, il devient un véritable film culte auprès des amateurs de comédie et va servir de modèle à nombre de créateurs.
Par son style, son audace, la drôlerie et le ridicule des situations dans lesquelles évoluent les personnages, Playtime fait école. L'allure dégingandée de Mr Hulot a inspiré Woody Allen. Quant à Matthew Weiner, créateur de Mad Men, il a vraisemblablement tiré du film ses codes sixties. Le film Catch Me If You Can, dont l'histoire se déroule dans les années 60, fait clairement référence à Playtime via le personnage joué par Tom Hanks. Ce dernier interprète un individu vêtu d'un imper et d'un chapeau qui, comme Mr Hulot, enchaîne les gaffes pendant tout le film, inadapté à une époque incertaine en pleine mutation.
Film
1967
Réalisé par Jacques Tati
Distribution : Jacques Tati, Barbara Dennek, Rita Maiden
©Playtime - Jacques Tati - 1967