Ancien « country manager », accompagnateur de trekking en Inde ou encore crêpier au Mexique, Alexis Le Rossignol a finalement trouvé sa voie dans l’humour. Il est aujourd’hui chroniqueur sur France Inter dans l’émission La Bande Originale et présente son spectacle dans la salle du théâtre Le Point-Virgule. Curieux d’en savoir un peu plus sur cet artiste singulier, nous l'avons rencontré pour lui poser quelques questions.
Après ton bac, tu as fait une école de commerce. Tu as pris une année de césure durant laquelle tu es parti faire la route de la soie avec un ami, de Venise jusqu’en Chine. Quel souvenir marquant retiens-tu de ce voyage ?
Il y en a beaucoup mais je me souviens d’un jour en particulier. On marchait sur les routes en Turquie et la nuit commençait à tomber, le froid arrivait très vite. On a rencontré un paysan sur le bord de la route qui nous a accueilli chez lui. Il vivait dans une pièce en terre battue avec sa femme et sa petite fille qui devait avoir un ou deux ans.
Après le repas, je déplie la carte de la Turquie. Le paysan s’y intéresse mais je vois qu’il ne sait pas lire. Il connaissait seulement le nom de son village et Bolu, la ville la plus proche, située à 25 kilomètres environ. J’imagine que c’était la seule ville où il allait, à pied, pour vendre deux-trois poules par semaine. Et sur la carte, ces 25 kilomètres étaient distants de deux centimètres à peu près. En regardant attentivement la carte, il a aussi vu où était Istanbul et il a trouvé dingue qu’on soit arrivé chez lui de si loin, à pied. Il nous a ensuite demandé où se trouvait la France par rapport à la Turquie. En respectant un peu l’échelle de la carte, on s’est mis au bout de la pièce et on lui a dit : « c’est là ! ».
Il avait sa petite fille dans les bras et il a commencé à sauter de joie ! C’était incroyable de voir le bonheur de ce monsieur-là. Et je trouvais ça beau parce que je me disais que sa petite fille allait grandir et qu’un jour peut-être, en regardant la télé, il lui dirait : « tu vois, quand tu étais petite il y a deux jeunes qui sont venus à pied de la France jusqu’à chez nous ! ».
Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le stand up ?
J’ai fait une école de commerce un peu par hasard, je ne savais trop quoi faire de ma vie. Mais une fois dans cette école, je me suis senti perdu, je n’avais pas les codes et je trouvais que c’était très hiérarchisé. Les gens un peu parisiens, friqués, beaux gosses faisaient le BDE (Bureau des Elèves [n.d.l.r]) ou le BDS (Bureau des Sports [n.d.l.r.]), et après, il y avait tous les autres. Moi je ne souhaitais pas particulièrement faire partie du BDE ou du BDS, mais il y a une différence entre choisir de ne pas en faire partie, et en être de facto écarté, de par ton statut social, c’est-à- dire le fric de tes parents, ou à cause de ta gueule. C’est très violent.
Donc j’ai pris cette année de césure pour faire ce voyage à pied jusqu’en Chine parce que je n’étais pas à l’aise. Et ensuite, je suis parti en échange Erasmus au Mexique parce que j’avais envie de partir loin à nouveau. Je me sentais bien à l’étranger mais pas en France.
Dans la foulée de cet échange, j’ai fait un stage sur place, au Mexique, et je me suis rendu compte que je n’étais pas non plus à l’aise dans le monde du travail. On me demandait de faire des trucs qui ne me semblaient pas du tout naturels. J’étais en souffrance, je n’étais pas débile mais j’avais de grosses difficultés à me concentrer sur des tâches qui me semblaient sans intérêt. Je ne comprenais pas qu’on puisse s’épanouir dans ce genre de choses.
Et on dit souvent que si ton premier patron est un type qui t’inspire, tu vas pouvoir t’éclater. Moi, je suis tombé sur un patron qui portait des chemises brodées à son nom et des mocassins à glands ! Ce n’était pas du tout le genre de personnes que je voulais fréquenter, ni le modèle que je voulais avoir dans ma vie. Alors j’ai arrêté. Pourtant j’avais 24 ans, j’aurais pu avoir un statut d’expat mais je sentais que ce n’était pour moi.
Et ensuite, j’ai galéré. D’abord, je suis allé en Inde pendant 6 mois. Là-bas, j’ai été accompagnateur de trekking en montagne pour une agence de voyage créée par des Français. J’avais trouvé l’annonce sur le site du Guide du Routard... J’ai adoré les treks en haute altitude, mais je me suis surtout rendu compte que le tourisme avait un impact très négatif sur l’environnement et les hommes. Je voyais des caravanes de mules ravitailler des villages isolés en canettes de Coca-Cola destinées aux touristes, et qui finissaient dans des décharges à ciel ouvert en pleine montagne. Certains touristes donnaient des bonbons aux gamins qui se retrouvaient avec des caries alors qu’il n’y avait pas de dentistes dans les villages. D’autres réclamaient du Nutella au petit déjeuner… Et forcément, les locaux veulent bien faire, et ils finissent par avoir du Coca-Cola et du Nutella ! Bref, je n’avais pas envie de participer à ça, ça m’a dégoûté du tourisme.
Ensuite, je suis retourné au Mexique et j’ai monté une crêperie avec une amie. Tu remarqueras que ça n’est pas hyper cohérent non plus… Et ça n’a pas vraiment marché, au contraire… Ma pote est partie au bout de 6 mois, et moi je me suis retrouvé tout seul pour gérer la crêperie. Et même si j’étais content de l’avoir ouverte, je n’étais pas passionné. En fait je m’emmerdais, je trouvais ça routinier. En plus le local était horrible, c’était un espèce de grand garage qui donnait sur la rue mais dans lequel le propriétaire rentrait sa bagnole la nuit. Franchement, on avait décoré mais ça faisait peur. En y repensant, ce n’était pas une période très gaie : j’avais voulu réussir sans avoir de patron sur le dos et je me retrouvais à faire des crêpes dans un boui-boui sans charme à Mexico. Et je n’avais même pas de farine de blé noir ! Je faisais des galettes avec de la pâte à crêpes…
Et c’est là où le stand up est arrivé ! Un soir, après ma journée de « crêpes », je suis allé boire une bière dans un bar, tout seul, et j’ai vu des mecs arriver et faire du stand up. Et là, ça a été une révélation ! J’ai eu la chair de poule, je me suis dit : « c’est ça que je veux faire dans ma vie ». C’était comme une évidence. Je suis juste allé les voir et je leur ai dit : « j’aimerais faire la même chose que vous, comment fait-on ? ». Ils m’ont répondu : « on se réunit de temps en temps et on a des petites scènes à droite à gauche, joins-toi à nous ! » Ça a commencé comme ça.

Tu écrivais tes sketchs en espagnol ?
Oui, j’ai commencé à écrire en espagnol. D’ailleurs, entre 2013 et 2016, je n’ai jamais écrit en français. Et je ne pensais pas qu’un jour je le ferais.
Et ça marchait bien ?
Oui plutôt, mais comme pour tout le monde, ça a pris du temps. J’ai eu de la chance, c’est qu’à ce moment-là, la chaîne américaine Comedy Central, qui diffuse les Simpson ou South Park entre autres, a voulu lancer un programme de stand up en espagnol. Ils ont organisé un grand casting et j'ai été pris. On était 40 à jouer 11 minutes chacun dans une émission diffusée toutes les semaines pendant un an. Il y a eu trois saisons auxquelles j'ai participé et qui ont été rediffusées plein de fois. Ça m'a apporté en visibilité et ça m'a permis de jouer de plus en plus.
Que retiens-tu de ta première scène au Mexique ?
C’était dans une pizzeria et je crois que je me pensais drôle avant de l’être. A la première vanne, je m’attendais à des rires et je n’en ai pas eu. Ça m’a déstabilisé et j’en ai perdu mon texte. J’ai dû ouvrir mon papier en tremblant.
Honnêtement, pendant longtemps, j’ai été assez nul. Mais ça ne me touchait pas vraiment parce qu’au fond de moi, j’étais à peu près persuadé que je pouvais y arriver. J’avais vraiment trouvé le truc qui me plaisait !
Te souviens-tu de ta première scène en France ?
Oui, c’était au West Side Comedy Club à Nantes. C'est Haroun que j'avais contacté depuis le Mexique qui m'avait donné le contact de Thomas de Laporte, un humoriste nantais qui jouait dans ce comedy club. Il m'a proposé de faire un passage. J'y suis allé, j'ai joué 6 ou 7 minutes et ça a bien marché !
Y a-t-il une différence entre le public mexicain et le public français ?
Il n’y a pas vraiment de différence dans le sens où le public rit quand c’est drôle et ne rit pas quand ça ne l’est pas. Par contre, il y a peut-être une différence dans la façon d’aborder l’humour. En France, on est sûrement un poil plus exigeant en terme d’humour. Au Mexique, il y a beaucoup de blagues homophobes qui passent et qui font marrer tout le monde. Tu mets « puto » dans une phrase et ça fait rire.
Quand je regarde mes anciens passages là-bas, j’ai un peu honte parce que je me dis que j’allais vers la facilité. C’était peut-être aussi lié au fait que l’espagnol n’était pas ma langue maternelle. Je cherchais l’efficacité à tout prix et je faisais parfois des blagues moyennes ou répréhensibles. Mais quand tu joues dans une pizzeria à huit mille bornes de chez toi, tu t’en fous un peu. Et puis à cette époque là je n’envisageais pas d’en faire mon métier.
Quand on écrit des vannes, il faut savoir quel objectif on cherche à atteindre. Certains humoristes privilégient la fréquence du rire, et à l’inverse d’autres se contrefichent de faire rire toutes les 10, 15 ou 20 secondes, car ils préfèrent développer des réflexions plus profondes, ou engagées. C’est un choix. Personnellement, je ne me revendique ni de l’un, ni de l’autre, et les deux me font rire. Dans son dernier livre (L'homme qui pleure de rire: roman, 2020 [n.d.l.r]), Beigbeder dit : « je n'ai rien contre l'humour léger, facile, un peu potache ». Eh bien moi non plus, je n'ai rien contre cet humour. Et en lisant son bouquin, j'étais content de voir qu'il n'était pas inavouable de dire : « il y a des choses potaches qui me font rire ».
Tu présentes une chronique par semaine dans l’émission La Bande Originale présentée par Nagui sur France Inter. Où puises-tu ton inspiration ?
Quand j’ai une idée en tête, j’essaie de la noter en avance dans mon téléphone pour en faire une chronique. Souvent, ce sont des choses qui m’arrivent. Ça peut partir d’un rien, d’une micro-observation que j’extrapole. J’aime bien me dire que tout peut devenir humoristique et drôle.
Par exemple, j’ai fait une chronique où je raconte que je me suis retrouvé enfermé sur le palier avec ma copine et qu’on a essayé d’ouvrir la porte avec une radio. Dans cette histoire, tout est vrai ! Il fallait vraiment plier la radio, secouer la porte pour qu’elle arrive à rentrer dedans et presque s’y mettre à deux. Et ça ne marche pas d’un seul coup…
Tu reprends parfois des blagues que tu fais dans tes chroniques. Comment les adaptes-tu à la scène ?
L’énergie est un peu différente. Pour les blagues de mon spectacle, j’ai pu les faire 100 fois avant, donc je les maîtrise parfaitement et je sais en jouer.
Pour les chroniques, je suis un peu dépendant de ce que les autres vont dire, s’ils vont rire ou me couper la parole par exemple. J’admire vraiment les gens qui sont constants, ceux qui ont une grande régularité comme Marina Rollman qui est assez imperturbable et qui présente toujours des chroniques de qualité et très drôles. Ou Guillermo Guiz qui a une espèce de folie et son accent que j’aime beaucoup.
Moi, je considère qu’une de mes chroniques sur deux est bonne. Ou en tout cas, qu’elle me plaît à moi. La première année, j’avais un peu le syndrome de l’imposteur et je me disais : « mais qu’est-ce que je fous là ? ». Ça m’empêchait parfois de dormir. Maintenant, je me dis qu’au quotidien, si les gens trouvent qu’une chronique est bonne, c’est cool, ils la regardent et ils la partagent éventuellement. A l’inverse, s’ils n’aiment pas une chronique, j’imagine qu’ils se disent que ce n’est pas un métier facile et qu’ils passent à autre chose... J’ai arrêté de me morfondre avec ça, même si j’essaie toujours d’écrire quelque chose qui me semble travaillé et drôle.
Dans ton spectacle, tu dis qu’en humour il est difficile de recycler les blagues parce qu’on veut de la nouveauté alors qu’en chanson, on préfère les vielles musiques. Pourquoi selon toi ?
Je pense que c’est peut-être nous, en tant qu’humoristes, qui pensons cela, parce que l’émotion qu’on provoque est différente de celle que le public ressent avec la musique. Pendant un concert, les gens écoutent les chansons et ont toujours la politesse d’applaudir à la fin.
Dans l’humour, si tu fais une vanne et qu’il n’y a pas de rire, tu prends un bide et toute la salle est au courant. Il y a certaines blagues que j’ai arrêté de faire sur scène parce que les gens les connaissaient déjà. Par exemple, je faisais la recette des rouleaux au jambon, qui n’a rien de drôle en soi mais qui provoque un rire nerveux, car je prends mon temps et je donne beaucoup de détails inutiles. Mais je l’ai faite à la radio et souvent les gens qui venaient me voir en spectacle la connaissaient, et je voyais dans leurs yeux qu’ils se disaient : « bon il va pas nous la refaire en entier ». Maintenant j’aime bien arriver en balançant une grosse vanne un peu trash et annoncer : « c’est pas pareil sur scène qu’en radio ! ». Ça me permet de me lâcher un peu plus.
Pour le magazine La Nouvelle République tu disais : « on fait marrer des gens en leur parlant de sujets dont on ne parlerait pas à des gens plus proches ». Faire de l’humour te permet-il de libérer ta parole ?
Oui, mais je ne libère pas ma parole pour une cause. Je ne peux me plaindre de rien. Je suis un mec blanc hétérosexuel en France et j’en ai pleinement conscience. Si l’humour me libère de quelque chose, c’est de petits traumas personnels. Mais j’essaie d’en parler avec humour, parce que je pense que je ne suis pas le seul à avoir des frustrations.
Te fixes-tu une limite dans les sujets que tu évoques ?
Je n’aime pas tirer sur les ambulances, c’est-à-dire sur des gens qui ne se défendent pas, ou ne peuvent pas se défendre. Par exemple, les blagues sur les Roms, les victimes de pédophilie ou les migrants me font rarement rire. Je le dis d’autant plus qu’il m’est arrivé d’en faire, quand j’ai commencé.
En fait, l’humour noir marche assez bien auprès du grand public car il semble subversif, les gens se disent « quel courage de dire ça », mais en réalité, techniquement, écrire des vannes sur les juifs, sur Hitler ou sur la pédophilie, c’est quelque chose d’assez simple. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a des milliers de blagues sur ces sujets là. Ceci dit, j’en ai une sur les juifs dans mon spectacle, donc tu vois, je ne suis pas à l’abri des contradictions.
J’évite aussi de faire des blagues sur des sujets de société que je ne maîtrise pas. Tu peux difficilement être habile si tu commences à parler d’un sujet que tu maîtrises peu ou que tu ne pourras jamais vraiment comprendre et qui, pour certaines personnes, est un combat quotidien. La transidentité par exemple.
En même temps, j’aime qu’on puisse continuer à dire plein de choses et surtout ce qu’on pense. J’aime beaucoup l’humour d’Haroun qui est sans doute l'un des meilleurs sur tous les thèmes de société. Je trouve que les chroniques de Pablo Mira sur France Inter sont très habiles aussi, alors qu’il marche en permanence sur un fil. Et je pense que dans le même temps on a aussi besoin de fantaisistes, de gens qui apportent de la légèreté.
Quels sont tes projets pour cette nouvelle année ?
J’aimerais bien travailler avec d’autres artistes, « trouver des synergies » comme on dit dans les start up, pour écrire des web séries, ou une bd. Et je suis en train de finaliser un bouquin qui sortira à la rentrée littéraire 2020. C’est un recueil de nouvelles sur l’adolescence mais c’est beaucoup plus noir que ce que je fais sur scène. Et puis, pour la suite, on verra !
Merci à Alexis Le Rossignol d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Tu peux le retrouver tous les vendredis sur France Inter et écouter sa chronique La drôle d’humeur d’Alexis Le Rossignol ou réserver ta place pour son spectacle !
©Thomas O'Brien et Laura Gilli