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Booder : "L’autodérision est une arme de séduction massive"

Pour obtenir une remise de peine, trois détenus que tout oppose décident de jouer une scène de théâtre devant la Ministre de la Justice. Voici l'intrigue de "La Grande évasion". Une pièce que joue depuis deux ans Booder, en compagnie de Wahid Bouzidi et Paul Seré. L'humoriste qui a déjà vingt années de carrière au compteur nous parle de ce spectacle mais aussi de ses références et de ses meilleurs anecdotes sur les planches. Rencontre avec un tchatcheur né...

Comment s’est mise en place cette pièce ?

Elle s’est écrite sur un six mains. On est allés tous les trois dans un festival à Grenoble de stand-up. Là-bas, on a eu l’idée de bosser ensemble. Paul et Wahid voulaient partir sur un plateau d’humoristes, sauf qu’à l’époque je jouais la pièce A la française , avec Edouard Baer. Cette expérience théâtrale était la première. Je trouvais cela vraiment super. Je leur ai proposé de faire une pièce. Au début, on devait jouer une adaptation des Trois mousquetaires mais cela se jouait déjà à l’époque. On s’est dit pourquoi ne pas rassembler plusieurs pièces de théâtre dans une pièce. Après, chacun a donné ses idées, puis on a travaillé une trame. On a testé cette pièce en Seine Saint-Denis. On a fait cinq dates qui étaient tous des spectacles différents. On a vu qu’on était dans le vrai lorsqu’on a remarqué que les jeunes étaient vraiment intéressés parce qu’on faisait. Le challenge pour nous qui venions du stand-up était de parvenir à faire une pièce de théâtre ce que nous disons depuis deux ans.

Comment vous êtes vous organisés pour l’écriture ?

Nous avons trois caractères différents mais nous sommes complémentaires. Paul est quelqu’un de très structuré au niveau de l’écriture. Très académique. Wahib est plus dans la vanne, plus dans l’improvisation. L’avantage c’est qu’on joue cette pièce quatre soirs par semaine. C’est un laboratoire.

Votre pièce se déroule en prison, pourquoi ce lieu ?

En école de théâtre on t’apprend qu’il faut créer un endroit clos que cela soit un appart’, un ascenseur ou autre… On aurait aussi pu faire cela dans un Lycée en jouant le rôle d’élèves turbulents. Ce choix n’est pas du tout politique, c’est un pretexte. Après on voit bien que les trois lascars qu’on joue sont des petits délinquants. Ils n'ont pas violé ou tué quelqu’un. On a eu plein de critiques pour cette pièce, notamment celle d’un professeur de collège qui est venu avec sa classe. Il m’a dit « Cela fait un an que j’essaie de leur expliquer l’avare. Vous en cinq minutes, vous avez réussi ». : Une autre critique qui m’a marqué c’est « on est tellement emportés par la pièce qu’on oublie que vous êtes en prison: » C’est pas un reportage sur la prison.

La pièce évolue-t-elle en fonction de l’actualité ?

Elle a été modifiée uniquement sur Taubira. On ne veut pas trop parler d’actualité pour que les gens sortent de cela même si on parle un peu de Sarkozy ou Hollande. Cela reste tout de même des petites touches dans le texte. Ce qu’on veut démontrer avec cette pièce, c’est que le théâtre classique n’est pas mort. Prenez des pièces comme Cyrano ou celles de Molière, elles sont toujours d’actualité.

Le spectacle contient beaucoup d’autodérision. Pensez-vous que cela peut avoir un impact sur les gens qui ont des complexes ?

L’autodérision est une arme de séduction massive. D’où la tirade de Cyrano sur le texte qui est un super exemple. On se vanne pas mal mais on est touchants. Au fond il y a de la bienveillance. Concernant les gens qui auraient des complexes, on a un public assez éclectique. La beauté est subjective mais la société dans laquelle on vit veut nous donner un modèle féminin ou masculin. Avec cette pièce on essaie de détruire ces modèles-là. Pour faire passer le message qu’il faut s’accepter tel qu’on est. Mon premier one-man était porté sur l’autodérision. On se trouve très beaux, de toute manière, on se trouve moche quand on est célibataire. Comme le dit Tony, le personnage de Paul Seré, le plus important c’est la tchatche. C’est un passage très touchant.

Le décor de la prison n’est-elle pas au fond une prison psychologique et la grande évasion un moyen de s’évader psychologiquement ?

Les gens des quartiers populaires ne vont pas au théâtre si ce n’est lors de sorties avec l’école, donc pas volontairement. Ils ne vont pas à l’Opéra. Après chacun a sa propre lecture et tant mieux. On essaie de faire réfléchir les gens. On ne monte pas sur scène pour faire seulement des vannes.

Quelle est la part d’improvisation ?

Elle n’est pas importante car ont doit rester sur les rails pour ne pas perturber le jeu des autres acteurs. Mon collègue sur scène attend la fin de la dernière phrase de l’autre pour démarrer. Donc si je modifie le texte, cela peut le perturber. Un jour je jouais du Luth. j’ai entendu des youyous dans la salle. Du coup j’ai dit en regardant par la fenêtre de la cellule : « Y a un mariage dans la promenade ? ». Ce sont des petits trucs comme cela. Cela peut tenir sur quelques vannes mais pas sur un spectacle.

Vous avez joué le spectacle en prison ?

Oui à Metz. Cela s’est super bien passé. En plus dans le public, ils avaient mélangé hommes et femmes. A la base on devait jouer à Metz et le mec qui nous avait fait venir à Metz nous a proposé de jouer en prison. A la fin du spectacle on a fait un exercice d’improvisation.

D’autres projets pour vous trois sont au programme ?

On y pense déjà. On s’apprécie énormément et on a un amour professionnel et amical. Si tu n’es pas proche des gens avec qui tu vas jouer, c’est compliqué. Donc si cela fait deux ans qu’on est ensemble, c’est qu’on s’entend très bien. On est des artisans, des boulangers. Pour l’instant on joue la pièce mais cela ne va pas durer vingt ans. Avec cette pièce, l’objectif c’est qu’elle finisse au cinéma. On a un projet pour lequel on a déjà commencé l’écriture. Ecrire pour le cinéma et jouer une comédie, c’est pas aussi simple qu’on peut le penser. Parfois on me demande pourquoi je ne fais pas des rôles sérieux. Quand on joue une comédie, on joue sérieusement.

Quelles sont vos références en humour ?

De Funes c’est ma référence.  Il a réussi à faire rire en s’énervant  Je peux même citer Robert Lamoureux, Pierre Mondy, Jean Lefebvre. Quand j’étais petit, je regardais tous leurs films comme « La septième compagnie ». J’ai baigné dans cela. Ensuite, en grandissant c’était Les Inconnus. Ensuite, il y a eu Jamel. Didier Benureau. Dans la nouvelle génération, j’aime bien ce qui se fait au Paname, notamment Fary, Lenny Harvey et le Woop. Quand je vais voir mes copains, je paye ma place. Je n’y vais pas en tant que pro. Après, si on me demande mon avis je le donne.

Comment voyez-vous l’arrivée de la génération Internet ?

Je ne veux pas parler comme un vieux mais avant il n'y avait pas cela. Avant si tu ne passais pas à la télé tu étais inconnu au bataillon, sauf si tu passais par les cafés théâtres mais il se comptaient sur les doigts de la main. Aujourd’hui, n’importe quelle personne qui a un resto et une salle au fond, peut l'utiliser pour que les gens puissent jouer. Je trouve cela super. J’avais commencé à faire des vidéos mais comme je ne suis pas de cette génération, j’ai pas le truc. J’en ai parlé avec Norman et le Woop pour comprendre. C’est une question d’âge et c’est un vrai boulot à part entière. Internet a cassé la mafia télévisuelle. Les Youtubeurs sont arrivés en disant, on n'a pas besoin de votre télé. Cela force le respect, quand tu vois.

L’anecdote qui vous a le plus marqué sur scène ?

Une fois j’étais à Marseille. J’ai joué mon spectacle pour le mauvais public. Je m’étais trompé de salle. Cela a duré vingt minutes. Au début le public rigole à mes vannes, sauf qu’à un moment ils s’arrêtent. Je vois avec le public s'il y a un souci, sauf qu'un spectateur me demande quand arrive l’artiste. Du coup grosse rigolade. Une autre fois en banlieue, une mère de famille s’est levée pendant le spectacle. Elle a mis sa fille sur scène pour prendre une photo. Je dis à la dame qu’il y’a d’autres gens dans la salle. Elle me répond « C’est pas grave, ils vont attendre.» Fou rire général. Enfin, je me rappelle d’une fois au Splendid. Le rideau s’ouvre et je vois qu’il n’y a que huit personnes dans la salle. J’ai du jouer comme s'ils étaient 300. A la fin je leur ai dit « Merci d’être venus à la répétion ».  Après c’est le métier. C’est plus facile de jouer devant 5000 personnes que devant quelques personnes. De toute façon, c’est à toi de faire rire le public et si le public ne rigole pas c’est que tu n’es pas bon et que tu dois te remetttre en question.

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