Sa licence de droit en poche, Edgar-Yves aurait pu se lancer dans une carrière juridique mais il a préféré se tourner vers le stand up. Devenu chroniqueur sur Rire & Chansons en 2017, l'humoriste présente depuis le début de l'année, son nouveau spectacle intitulé Certifié Taquin ! au théâtre le Point-Virgule. Rencontre avec un artiste qui déteste la xyloglossie.
En tapant ton nom dans la barre de recherche internet, on tombe sur le wikipédia d’Edgar-Yves Monnou, politicien né en 1953 et qui a 67 ans. Une présentation un peu éloignée de la tienne et pourtant…
Oui, c’est mon père. Il s’appelle Edgar-Yves Monnou et moi, Edgar-Yves Monnou Junior. Il est avocat de formation, c’est un homme politique au Bénin. Il m’a appelé de la même manière que lui parce qu’il était un peu dans le délire de créer une sorte de dynastie comme les Bush. Il croyait que j’allais reprendre le flambeau. Eh bah perdu ! J’ai choisi le stand up. Je suis tombé amoureux du micro et du public en face de moi.
Tu as obtenu ta licence de droit. Comment tes proches ont-ils réagi quand tu leur as dit que tu voulais faire du stand up ?
Je te cache pas que le public n’a pas réagi comme je l’espérais [rires]. Quand j’ai dit à mon père que je voulais faire du stand up, c’était mon premier bide. Ça a été dur. On ne s’est pas parlé pendant 10 ans. Il ne me laissait pas faire mes choix. Et j’ai compris que le seul moyen de m’en tirer dans la vie, c’était de m’émanciper.
On habitait en France et mon père était ambassadeur du Bénin à Paris. On se disputait beaucoup et il me disait toujours : « si t’es pas content, tu dégages ». Après une énième dispute familiale, je l’ai pris au mot. Je me suis retrouvé à la rue du jour au lendemain. J’ai eu faim, soif. J’étais dans une situation économique dramatique, sans logement. Ça n’a pas été facile mais ça m’a construit. Et ça m’a obligé à être sérieux dans mon rêve, à monter sur scène avec une faim d’animal.
J’ai compris que le seul moyen de m’en tirer dans la vie, c’était de m’émanciper.
J’étais vraiment déterminé. Je voulais prouver des choses à mon père et je voulais surtout me prouver que je n’étais pas un raté. Je devais me convaincre que ma vie n’allait pas être un non-sens et me battre pour ne pas sombrer dans la décadence ou la dépression. En étant là où je suis aujourd’hui, ça peut sembler rien pour les gens mais pour moi, c’est énorme. Je me suis prouvé que j’étais quelqu’un.

Comment s’est passée ta première scène ?
Au départ, je ne voulais pas faire de stand up. Mes potes me disaient que j’étais marrant mais je voulais faire des vidéos sur internet. J’étais à Nantes et je me suis inscrit à la compagnie du café-théâtre parce que je voulais améliorer mon jeu d’acteur pour mes vidéos.
Après un passage, la prof me dit : « je trouve que tu as une présence et un charisme incroyable. Ecris un texte pour la semaine prochaine et viens me le dire ». J’écris le texte mais j’étais stressé parce que je pensais que j’allais le faire devant tout le monde. Et en fait, c’était un piège. Une fois sur place, elle me dit : « je t’ai inscrit au concours de scène ouverte du café-théâtre ! Tu passes ce soir à 20h ». J’ai fait : « WHAAAT ? ». J’avais préparé un sketch sur l’esclavage et je ne me suis pas défilé. J’y suis allé et j’ai gagné !
Quand tu étais à Nantes, tu as créé le West Side Comedy Club en 2013. Comment l’idée de monter ce comedy club t’est-elle venue ?
Ça existait déjà mais je l’ai repris. Quand je suis arrivé, il y avait six personnes dans le bar et pas moyen de filer cinq euros de chapeau aux comédiens. Je me suis arrangé pour en faire quelque chose à l’américaine, qui me plaisait. J’avais proposé aux mecs qui avaient fait le concours de la compagnie du café-théâtre de créer notre crew et j’étais MC des soirées. On avait un gros line-up. Ce qui compte dans un plateau, c’est que les gens soient bons. Pas forcément d’avoir des re-sta. Et ce qui est important, c’est que les gens disent : « quand tu vas là-bas, tu passes un bon moment ». On n’était pas très nombreux mais on se renouvelait chaque semaine. Et on avait tous un bon niveau.
Ça a tellement bien marché qu’on a fait deux fois la salle 800 de la Cité des Congrès à Nantes.
Le bar s’est rempli et tous les mercredis, il y avait 120 personnes. Ça a tellement bien marché qu’on a fait deux fois la salle 800 de la Cité des Congrès à Nantes. C’était l’apothéose de ce projet. Après, tout le monde s’est barré et est devenu pro. Il y a des gens éminents qui sont passés par ce comedy club comme Alexis le Rossignol ou Elodie Poux par exemple.
Quand j’étais à Nantes, j’avais le sentiment d’être arrivé à un plafond de verre, d’avoir atteint ma limite. J’étais considéré comme un des meilleurs artistes de la ville. Je jouais mon spectacle tout le temps, trois fois par semaine. Et j’avais ma scène ouverte qui cartonnait. Je me suis dit : « bon je sens que si je reste là, ça peut durer dix ans comme ça ». Or je suis quelqu’un de très ambitieux, et mon leitmotiv, comme je te l’ai dit, c’est de prouver à mon père que je peux faire des grandes choses, que je peux être quelqu’un de grand.
Donc je suis venu à Paris parce que c’est la suite logique. C’est comme dans un jeu vidéo, tous ceux qui ont battu le boss de fin chez eux, viennent à Paris pour affronter le boss final.
Et comment s’est passée ton arrivée à Paris ?
Comme je faisais les premières parties de Jeff Panocloc au Zénith de Nantes à l’époque, j’avais rencontré son producteur Philippe Delmas. Il m’avait repéré et proposé de venir à Paris à l’Apollo théâtre faire un showcase. Il m’avait dit : « je serai dans la salle et si j’aime bien, je te programme ». Ça s’est super bien passé et il m’a offert une programmation.
Ça a été le début de ma campagne parisienne et c’était très difficile. Rien à voir avec Nantes où j’étais le roi du pétrole. A Paris, je jouais devant sept personnes tous les soirs dont cinq invités... Je n’avais pas compris que lorsque tu arrives à Paris et que tu n’as pas de vitrine, tu galères à remplir.
Je n’ai jamais été aussi drôle que depuis que je me lâche.
J’ai arrêté de jouer mon spectacle pendant un an. Je me suis dit : « t’es personne, ça sert à rien, tu ne remplis pas les salles ». J’ai viré tout ce que j’avais écrit et ce que je faisais avant. J’avais un style d’humour beaucoup plus précieux, léché et un vocabulaire plus soutenu. Je pensais à comment faire pour impressionner les gens mais pas à comment être marrant. Et puis, je pense que c’était un peu éloigné de ma personnalité, de qui je suis vraiment, un mec qui rigole et qui ne se prend pas la tête.

Je me suis remis en question et je trouve que c’est dans ces moments-là que tu apprends qui tu es. J’ai fait un véritable travail d’introspection sur moi-même. Je connais à présent mes défauts et mes qualités. Je me présente tel que je suis pour le rire. Et surtout, j’ai lâché prise. D’ailleurs, je n’ai jamais été aussi drôle que depuis que je me lâche. Ce qui est magique c’est que sur scène, je redeviens un gamin. J’ai les yeux qui pétillent, je m’amuse avec les gens, je rigole avec eux tout en restant bienveillant.
Et puis maintenant, je ne me fie qu’à mes instincts et j’aime bien le côté un peu bestial qui se dégage quand je suis sur scène. C’est plus proche de moi-même et ça correspond au combat intérieur que je mène. Je me dis : « tu as du talent, accroche-toi ». J’ai besoin de ça pour me motiver et travailler parce que c’est un métier dur, rempli de frustrations. Tu as besoin de te centrer vite sur toi-même pour ne pas sombrer dans l’aigreur et continuer à avancer.
Je vis de mon métier et de ma passion.
Aujourd’hui, j’apprécie pleinement ce que je vis. Je suis intermittent du spectacle et je paie mon loyer avec les blagues. Je vis de mon métier et de ma passion. Combien de gens dans la vie peuvent te regarder droit dans les yeux et te dire : « moi ce qui me fait kiffer, c’est mon taffe. Je n’ai jamais la flemme de me lever pour y aller ». Je me sens privilégié mais en même temps je me suis battue pour en être là.
A la fin de mon premier spectacle, j’avais écrit une phrase qui est le fruit de mon expérience, de la souffrance que j’ai vécue pour arriver à cette forme de plénitude dans laquelle je suis en ce moment. Et je pense que tout le monde devrait la noter : « le bonheur, c’est le privilège des gens courageux ». La vie est faite de telle sorte que pour trouver ta place, t’es obligé de te battre. Ça peut prendre plusieurs formes. Ça peut être le voyage intérieur ou le fait de s’imposer vis-à-vis de ses proches par exemple. La situation idéale ne vient jamais en étant un militant de salon. Pour être heureux, il faut aller chercher le bonheur.
Tu joues ton spectacle Certifié Taquin ! au théâtre Le Point-Virgule. Pourquoi avoir choisi ce titre ? Le terme taquin étant un peu un euphémisme…
Effectivement, c’est un peu un euphémisme parce que je pense que j’y vais un peu fort. Je voulais donner aux gens une petite idée de ce qu’ils allaient voir. Avec ce titre, je voulais dire : « je vais pas me retenir et c’est garanti » !
Tu aimes provoquer pour voir la tête choquée des gens et tu n’hésites pas à appuyer là où ça fait mal. Quelle est ta limite ?
La limite c’est les rires. Il n’y a aucun interdit sur scène. Il n’y a que des choses bien exécutées ou mal exécutées. Si c’est bien exécuté, le public rigole. Sinon, c’est le bide. Quand tu envoies une blague et que tu entends les mouches voler, tu t’en rappelles. Même deux heures après. Tu te dis : « dis donc la partie sur les pneus Michelin, elle était pas dingue, ça riait pas beaucoup ». C’est comme se prendre une gifle.
Avec ce titre, je voulais dire : « je vais pas me retenir et c’est garanti » !
En plus, on est une nouvelle génération de stand-uppers et on sait que ce qui est important maintenant, c’est la pertinence du propos. Chaque chose que l’on exprime sur scène, on le pense. Quand j’aborde un sujet, je donne mon avis et je me mouille. Quand le public dit non, c’est vraiment à moi qu’il le dit. Et c’est très dur.
On peut parler de tout mais de manière drôle. Et si on parle de tout, ce n’est pas une excuse pour tout faire non plus. Moi, j’adore jouer avec les blagues borderlines. Quand elles ne passent pas, c’est très gênant. Mais quand elles passent, c’est un strike ! Et tout le monde applaudit parce qu’il y a eu ce moment de tension où les gens se demandent : « mais comment va-t-il s’en tirer… ? Et oui il s’en tire ! Grâce à une pirouette mémorable » [rires].
Tu dis qu’avec ton métier, s’il t’arrive quelque chose de difficile comme une rupture amoureuse par exemple, tu peux le tourner en dérision et en faire un billet. Le rire est-il une thérapie selon toi ?
Absolument. C’est la phrase de mon dernier sketch dont je suis le plus fier. Elle résume complètement notre job ! Cette phrase veut dire qu’on est immortel, incassable, et que tu ne peux pas nous bousiller. Tant qu’on joue avec notre cœur et qu’on est sincère dans ce qu’on fait, tu ne peux pas nous stopper.
Quand je me suis séparé de ma meuf, c’était très dur. Mais il m’appartenait de ne pas me laisser aller et d’en faire quelque chose. J’ai mené le même type de combat que j’ai mené quand je me suis séparé de mon père. Je me suis dit : « bon Egdar, t’es en train de chialer tous les jours, fais-en quelque chose, bats-toi ! ». J’ai commencé à en parler et je me suis rendu compte qu’à défaut d’en rire, j’avais au moins l’empathie des gens qui se sentaient proches de moi. Après on m’a vite fait comprendre qu’il fallait arrêter la conférence et peut-être mettre des blagues. Alors je me suis concentré uniquement sur le rire. Mais au début, c’était vraiment une thérapie, les gens payaient pour écouter mon mal-être.
Tant qu’on joue avec notre cœur et qu’on est sincère dans ce qu’on fait, tu ne peux pas nous stopper.
Le métier d’humoriste est paradoxal. Tu peux faire rire une salle de 800 personnes et rentrer le soir, chialer dans une chambre d’hôtel. Je pense qu’on a une certaine mélancolie qui nous habite. On a besoin de marcher à côté de la tristesse, d’en faire notre amie et de s’en servir pour travailler. Je pense que le sketch qui parle de ma rupture amoureuse est le plus authentique que j’ai écrit.
Tu fais des chroniques quotidiennes sur Rire & Chansons. Selon toi, quelle différence y a-t-il entre faire rire à la radio et sur scène ?
Pour moi c’est pareil même si dans l’idée, on peut dire que c’est différent. Mes collègues dans la salle sont les premières personnes que je tente de faire rire quand je fais mes chroniques radio. Quand on rigole tous ensemble, c’est vraiment sincère et je sais que cette joie-là se transmet dans les ondes. On entend le sourire dans la voix.
Mes chroniques à la radio sont un peu plus littéraires dans le sens où il y a des belles tournures de phrase. Mais j’essaie progressivement de gommer ce côté-là pour avoir le même franc-parler que j’ai sur scène.
Quels sont tes prochains projets ?
Je vais continuer à travailler mes skectchs au Paname, un lieu où je me sens bien. J’aimerais aussi garder le rapport privilégié que j’ai avec le public et sortir un troisième spectacle à la rentrée encore plus ambitieux. Mener une bonne vie de troubadour [rires].
Merci à Edgar-Yves d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Retrouvez-le tous les mardis soirs à 21h15 au Point-Virgule !