John Sulo a débarqué à Paris avec un objectif en tête : faire du stand up. A force de travail et de motivation, l’humoriste au mental d’acier vit aujourd’hui de sa passion et présente actuellement son spectacle Champion au théâtre du Point-Virgule. Dans cette interview, on a parlé détermination, Champion's League et mangas. Entre autres.
Avant de te lancer dans le stand up, tu as fait beaucoup de petits boulots. Tu as réparé des ordinateurs, fait de la soudure, travaillé au ministère de l’écologie de Nicolas Hulot et dans le vestiaire du Favela Chic, un resto-bar brésilien. Comment passe-t-on de ce parcours à la scène ?
Le stand up, c’était un de mes objectifs. Et comme pour chacun de mes objectifs, peu importe les chemins par lesquels tu passes, tant que tu as ton objectif en tête, tu dois passer par là. Je me disais que je devais accumuler les petits boulots pour manger et survivre, payer mes loyers, aider ma famille et arriver au stand up. J’ai donc commencé la scène en parallèle à mes petits boulots. C’est un métier très difficile et c’est compliqué d’en vivre, surtout quand tu débutes.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le stand up ?
Petit, je regardais le Jamel Comedy Club, l’Inside Comedy Club et Les Inconnus. C’est des gens qui m’ont inspiré, qui m’ont vraiment donné envie de faire des blagues. Je suis déjà le gars qui fait un peu rire tout le monde autour de moi : ma famille, mes proches. En arrivant sur Paris, j’avais enfin l’occasion de faire du stand up.
J’ai découvert le Paname Art Café et j’ai rencontré des gens comme Bun Hay Mean ou Lenny MBunga qui m’ont montré que c’était un travail et que c’était dur. J’ai hésité pendant un an à monter sur scène parce que j’avais peur. J’ai commencé au Labo du Rire. Et depuis, c’est parti !
Quelles sont tes autres influences en humour ?
J’ai beaucoup regardé Canal, notamment Groland. J’aimais aussi H. C’est une série qui m’a vraiment bercé et qui est, pour moi, une des meilleures en France. C’est burlesque. Ils arrivent à rentrer dans un perso et à imiter quelqu’un, ça me fait trop rire.

J’aime aussi le franc-parler qu’on retrouve dans Les trois Frères (Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus [n.d.l.r]). Pour un premier film, c’est ouf. Ce qui me plaît chez les humoristes, c’est la sincérité.
Cherches-tu à avoir cette sincérité sur scène ?
Oui exactement, je parle toujours d’un vécu. Pour l’instant, je suis dans la première étape de mon spectacle. Je raconte ma vie et ça ne tourne quasiment qu’autour de moi. La seconde étape, ça va être d’apporter un fond pour que ça concerne un peu plus les gens.
Au Japon, je me suis baladé dans les rues de Tokyo en vélo, avec une véritable armure de samouraï
Kader Aoun m’avait donné un conseil qui m’est resté en tête. Il m’avait dit : « John, tu es beaucoup plus intelligent dans la vraie vie que sur scène. Alors le jour où tu arriveras à transposer cette intelligence sur scène, tu vas faire des dégâts ». Depuis, j’essaie d’appliquer son conseil. Mais c’est vraiment dur. Il y a des humoristes qui le font très bien comme Jason Brokerss ou Fary par exemple. Moi, j’aimerais y arriver petit à petit pour passer à un autre level de blague.
Comment as-tu construit ton spectacle ?
Je ne sais même pas s’il y a eu une construction parce que c’est plus une accumulation de sketchs. Je raconte ce que j’ai vécu durant ces trois dernières années, depuis que j’ai commencé le stand up. Par exemple, le voyage à Liverpool ou mon voyage de noces.
Je me suis mis en mentalité stand up alors dès qu’il m’arrivait quelque chose de marrant, il fallait que je le raconte. J’apportais des blagues et je faisais un parallèle avec mon passé ou mon futur, mes désirs ou mes envies.
Mais je n’ai pas vraiment de stratégie. Je ne me dis pas : « Aujourd’hui, je vais parler des masques, du Covid, … ». Pour l’instant, je me base uniquement sur mon vécu. Même si dans la vie, j’arrive à parler aisément de l’actualité, sur scène pas encore.
Est-ce quelque chose que tu aimerais faire ?
Bien sûr ! Parce que je sais que le vécu est très lié à l’actualité. Enfin, « l’actualité » c’est un bien grand mot. Quand je dis ça, je parle du fond. Le vécu est lié à un fond qu’on a tous, un fond commun. Par exemple, quand je parle de mon voyage de noces, je peux faire une généralité en cherchant quelques informations sur internet ou en me renseignant sur les statistiques, les voyages de noces, où les gens vont voyager le plus, etc.
Lorsque tu vis vraiment ton spectacle, c’est comme une discussion, un échange avec les spectateurs.
Avec ces informations, je vais apporter autre chose à mon passage. Je vais avoir des blagues sur le fait que les gens aiment voyager tout le temps au même endroit et je vais pouvoir parler d’un lieu en particulier. Je peux aussi faire le lien avec une émission. Par exemple, j’ai souvent réfléchi à 4 mariages et une lune de miel. Je pourrais essayer de faire un parallèle entre mon voyage de noces et l’émission. Et là, ça va concerner plus de monde parce qu’il y a plusieurs millions de personnes qui regardent cette émission. En fait, tu pars de ton vécu et tu ajoutes quelque chose. Tu élargis un peu plus ton champ de rire et les gens comprennent mieux.
Le 26 août dernier, tu as joué pour la première fois ton spectacle Champion au Point-Virgule. Comment s’est passée cette première représentation ?
Pour être très honnête, les vingt-cinq premières minutes, j’étais un robot. Je ne pensais pas, j’étais totalement tendu. Je me suis mis en pilote-auto. Je jouais mes sketchs mais je n’articulais pas et j’allais vite.
Quand j’ai vu mon temps, je me suis rappelé d’un conseil de Jason Brokerss. Il m’avait dit : « Si tu joues ton spectacle comme un passage sur un plateau, tu vas vite être essoufflé et tu ne vas pas vivre le truc. Un spectacle ça se joue différemment, c’est pas le même rythme. Ça se vit ». Alors je me suis calmé. J’ai respiré, pris une pause et là j’ai commencé à vraiment vivre le truc.

Je suis content parce que j’ai trouvé des blagues sur scène qui n’étaient pas écrites. J’ai remarqué que lorsque tu vis vraiment ton spectacle, c’est comme une discussion, un échange avec les spectateurs. Je leurs lançais des petits regards alors qu’au départ, j’avais des œillères, comme les chevaux. Je regardais devant moi, mais c’était flou. C’est seulement après avoir pris une gorgée d’eau que j’ai commencé à vraiment voir les gens.
La deuxième partie du spectacle, j’ai vraiment kiffé. Si j’avais joué tout mon spectacle comme la première partie, j’aurais été frustré et je m’en serais voulu. Même si les gens m’avaient dit : « ouais c’était cool », je sais qu’au fond de moi-même, j’aurais été déçu.
Tu dis que tu détestes réécouter ou revoir tes passages. Qu’est-ce qui te déplaît ?
En tant qu’humoriste, c’est très dur de se réécouter. Surtout au début parce que tu vois tous tes défauts et tu te dis : « mais c’est qui ce mec-là ?». Quand je regardais mes passages, je me suis aperçu que je disais tout le temps : « tu vois ce que je veux dire ? », sans le faire exprès.
Parfois aussi, j’écris des blagues d’une certaine manière et quand je les dis sur scène, je suis dégoûté. Je me dis : « mais pourquoi je suis comme ça ? Pourquoi je joue avec ce ton-là ? ». C’est très difficile de se voir mais le but, c’est de se corriger, de s’améliorer.
J'ai vécu le rêve de tous les fans de Liverpool et même des fans de football : être sur le terrain et célébrer une des finales de Ligue des Champions avec les joueurs.
C’est comme les footballeurs aujourd’hui, ils regardent tous leurs matchs. Ils revoient leur positionnement, ce qu’ils ont bien ou mal fait. Et ensuite, pour le prochain match, ils corrigent. Nous, c’est pareil sur scène. Depuis qu’il y a la vidéo, on va beaucoup plus vite. Aujourd’hui, on peut être notre propre metteur en scène. Moi, je n’ai pas de metteur en scène ni de co-auteur. Mais mes amis humoristes m’aident de temps en temps, surtout quand on fait des séances d’écriture.

Sur l’affiche de ton spectacle Champion, on te voit porter le maillot de l’équipe de Liverpool. Tu leur voues un amour inconditionnel. Peut-on dire que tu es un de leurs plus grands fans ?
Non, parce que même si je suis un vrai fan et que c’est une équipe que j’aime, j’ai été à Liverpool et je connais des gens qui sont dans un autre niveau de fanatisme. Moi, je suis bien dans mon statut d’amoureux de ce club, de ces joueurs.
Qu’aimes-tu dans ce club ?
La ville, la mentalité, l’âme. C’est une âme de combattant, de personnes qui ne lâchent rien, de gens qui ont galéré pour arriver jusqu’à ce titre-là. C’est des gens qui ont beaucoup vécu de leur richesse passée et qui ont eu une longue période de disette pour regagner aujourd’hui. Et pendant tout ce temps, ils n’ont pas baissé les bras. Malgré les défaites, les embûches, les clubs rivaux qui enchaînent les titres, tous les supporteurs ont continué de se battre et de chanter.
En tant qu’humoriste, c’est très dur de se réécouter. Surtout au début parce que tu vois tous tes défauts et tu te dis : « mais c’est qui ce mec-là ?».
Pour beaucoup de clubs, si tu rates une passe, tu es lapidé, insulté. Ce que j’aime dans le club de Liverpool et ce qui a forgé ma mentalité personnelle, c’est que peu importe les chutes, si on t’encourage, tu vas te relever et y arriver. Il faut retourner au combat jusqu’au moment où tu gagnes et où tu ressens une victoire, une satisfaction immense.
Dans ton spectacle, tu racontes que tu as été en auto-stop avec ton petit frère à la finale de la Champion’s League à Madrid et que tu as réussi à rentrer sur le terrain à la fin du match pour fêter la victoire avec les joueurs…
Encore aujourd’hui, je n’y crois pas. Quand je vois Liverpool jouer, je me dis : « C’est pas possible… » Cette année, pour la finale PSG-Bayern, j’ai pensé : « Il y a un an, j’avais la coupe dans les mains ». Tu me demandais si j’étais le plus grand supporter de Liverpool. Sincèrement, je pense que non. Mais j’ai vécu le rêve de tous les fans de Liverpool et même des fans de football : être sur le terrain et célébrer une des finales de Ligue des Champions avec les joueurs.
Tu adores voyager. Tu es déjà allé au Japon, en Malaisie, en Russie, en Angleterre et en Algérie. Quelle sera ta prochaine destination ?
J’ai beaucoup voyagé seul. Mais maintenant, j’aimerais bien faire découvrir à ma famille ce que j’ai vécu ou voyager avec elle dans d’autres pays. Mon pays natal, c’est le Sénégal. Avec ma femme et mes enfants, ma mère et mes sœurs, on y est allés et c’était vraiment un kiffe de vivre ça en famille. J’aimerais bien vivre ça de nouveau en Guadeloupe avec ma femme qui est guadeloupéenne.
Aurais-tu un moment fort à nous raconter sur un de ces voyages ?
Au Japon, je me suis baladé dans les rues de Tokyo en vélo, avec une véritable armure de samouraï que j’avais louée. C’était le dernier jour. Je pars dans le centre-ville pour acheter un cadeau à ma femme avant de rentrer en France. Il me restait 30 euros. Et là, je passe devant cette boutique d’armures… Bah j’ai envie de te dire que ma femme n’a pas eu de cadeau [rires].
Ce que j’aime dans les mangas, c’est les messages qui se cachent derrière chaque histoire et les valeurs véhiculées.
C’était vraiment top. Les gens m’arrêtaient pour me prendre en photo. Je suis un grand fan de mangas donc dans ma tête, je me prenais vraiment pour un samouraï.
Tu te souviens du premier manga que tu as découvert ?
DBZ ! Je suis de la génération Club Dorothée et comme beaucoup d’enfants de cette génération, j’ai pu voir plein d’animés. J’étais vraiment amoureux de tout cet univers. Je suivais tous les épisodes et avec des potes, on dessinait Son Gohan, San Goku, Piccolo, …

Ce que j’aime dans les mangas, c’est les messages qui se cachent derrière chaque histoire et les valeurs véhiculées. Il y a l’abnégation, l’amitié, perdre pour enfin gagner et être le gagnant historique. On s’attache aussi très vite aux personnages. Par exemple, dans One Piece, qui est le manga le plus vendu au monde, j’adore les personnages. J’ai même appelé mon chat Nami ! J’ai aussi le drapeau, le chapeau de paille…
…que tu avais perdu ?
Oui, j’avais fait une story où je disais que j’avais oublié mon chapeau de paille dans un bus à Liverpool. J’étais dégoûté parce que j’avais voyagé un peu partout avec ce chapeau. Et un jour, je joue au Paname et quelqu’un que je ne connais pas et qui me suit sur les réseaux, m’envoie un message : « Sors, je suis devant le Paname ». Curieux, j’y vais mais j’ai un peu peur. Le gars ouvre son coffre et il me dit : « Tiens, voilà ton chapeau de paille, j’ai vu que tu avais perdu le tien ». Ça m’a ému aux larmes.
Tu animes Solo avec Sulo dans laquelle tu interviewes des humoristes. Pourquoi as-tu eu envie de créer ce programme ?
Je suis fan du podcast Un Café au Lot7 de Louis Dubourg. J’aime beaucoup le côté cool/cosy de ce podcast et c’était ce que je voulais reproduire à la télévision. Dès le départ, j’avais dit à Clique : « J’aimerais avoir une émission où je parle de stand up et je voudrais la faire évoluer, devenir une référence ». Après, je pense que j’ai été un peu trop vite parce que je ne suis pas un intervieweur. Par moment, j’étais du-per, j’avais l’impression de tourner en rond et que je n’arrivais pas à faire évoluer l’émission comme je voulais.
Les gens voient les qualités mais moi, je vois tous les défauts de l’émission. C’est comme dans le stand up, je vois tout ce qu’il ne faut pas faire ou ce qu’il ne faut pas dire. Mais peut-être que je me compare à des gens qui font ce métier-là depuis 15 ans, comme Mouloud Achour. J’adore la manière dont il gère une interview. Tu as l’impression qu’il est pote avec les invités. C’est vraiment le maître jedaï des interviews. Je me disais qu’il fallait que j’arrive à gérer le sabre laser des interviews. Et je pense que je me mettais trop de pression par rapport à ça.
Mais je suis fier et très content de faire cette émission. Je remercie toute l’équipe de Clique et le rédac chef Anthony Cheylan qui m’ont aidé à monter ce programme et qui m’ont fait confiance alors que je n’avais aucune expérience.
Qui aimerais-tu inviter prochainement ?
Jamel. Pour moi, c’est le boss de fin.
Merci à John Sulo d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Pour suivre toute son actualité, abonnez-vous à sa page insta @johnsulo.
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©Photos de Lambert DAVIS
©Affiche réalisée par Maxime Masgrau