La troupe des Epis noirs s’est lancée un défi : raconter l’histoire de France du big bang à 1789 en 90 minutes chrono. De l’opéra au rock, en passant par le punk ou le slam, les Epis noirs nous embarquent dans une chevauchée musicale effrénée à travers différentes époques. Rencontre avec deux membres de la troupe : Pierre Lericq et Manon Andersen.
Vous avez fondé les Epis noirs en 1987. Pourquoi avoir choisi ce nom de troupe ?
Pierre Lericq : On faisait de la chanson punk mélangée à la chanson folklorique. Il y avait une chanson dont les paroles étaient « en passant par les épinettes, en passant près des épis noirs ». On jouait pour une scène ouverte qui s’appelait la Timbale. On avait gagné trois fois et on devait présenter un spectacle. J’ai écrit le spectacle mais on n’avait pas de nom. Posés au bar, on s’est demandé quel serait le nom du groupe. On a choisi ensemble Les Epis noirs. 35 ans après ça reste encore [rires].
Comment votre troupe s’est-elle formée ?
P.L : On a une formation de rue, de café-théâtre et de musique. J’ai rencontré Manon à Genève quand j’ai rejoint la compagnie Kitchpanikkk. Avec Manon et un autre membre de la troupe, on est partis en Hongrie, en Ecosse, à Aurillac, ... On faisait beaucoup de théâtre de rue. Ensuite, on a joué au théâtre des Blancs Manteaux, un temple du café-théâtre. On y est restés deux ans, on a tourné dans des cafés–théâtres, on a gagné des festivals. Après, on a fait de la musique. On a été aux Francofolies avec un spectacle qui s’appelait Opéra des Champs et ensuite, on a créé Flonflon. On est vraiment entrés dans le théâtre musical et burlesque.
Manon Andersen : Pour la troupe, il y a un noyau dur et puis les gens viennent, repartent. Aujourd’hui, c’est une équipe soudée, j’espère que l’on va continuer ensemble !
Que vous a apporté le théâtre ?
P.L : Le théâtre c’est ma vie. J’avais une douleur enfant et le théâtre m’a permis de faire une résilience, de pouvoir sortir de cette souffrance par le rire. S’il n’y avait pas eu le théâtre, je ne sais pas ce que je serais devenu. Le théâtre m’a apporté la vie et la possibilité de recréer une famille autour d’un art que l’on adore.
Le théâtre c’est ma vie
M.A : Si je n’avais pas fait de théâtre, je me demande ce que j’aurais pu faire d’autre. Avec Les Epis noirs, on a joué énormément dans la rue, presque 300 jours par an. C’était incroyable. J’aime le théâtre mais j’aime surtout l’esprit de la compagnie, le groupe, le collectif. Ce que j’ai aimé travailler dans ce spectacle, c’est justement l’idée du chœur et d’être tous ensemble. On n’avait jamais réussi à le faire avant. Et je pense que c’est aussi ça qui donne beaucoup d’émotions aux spectateurs.
De l’opéra au rock, en passant par le punk ou le slam, votre spectacle traverse de nombreuses époques de l’histoire de la musique. Pourquoi avoir fait ce choix ?
P.L : On a toujours relié les choses qui n’ont parfois rien à voir ensemble. Par exemple, le punk et le folk. Ce sont ces mélanges-là qui, a priori ne peuvent pas fonctionner ensemble qui nous animent. On est attirés par toutes ces formes de musiques mais c’est aussi le cœur qui bat, le tempo et le rythme qui nous importent. Quand j’écris les textes, j’essaie toujours de revenir au rythme.
M.A : Pour nous, le théâtre est une musique. Même quand on ne chante pas. Le mélange de tous ces styles de musiques, c’est aussi une histoire de rencontres. Par exemple, on n’avait jamais fait de lyrique. Il y a quelques années, on a rencontré notre professeure de chant, Marianne Seleskovitch et on lui a demandé de venir sur cette création pour faire du chant lyrique.

Était-ce un défi de raconter l’Histoire de France du big bang à la révolution française en 90 minutes top chrono ?
P.L : Au départ, ce n’était pas ce qui était prévu. J’étais dans un sentiment d’urgence parce que je voulais écrire toute l’histoire de France en trois mois. C’était une folie parce qu’il fallait répéter vite et on devait jouer le spectacle à Avignon. J’ai finalement décidé d’écrire l’Histoire de France jusqu’en 1789 parce que je n’avais pas assez de temps. Mais je pense écrire la deuxième partie. C’était un défi de raconter l’Histoire de France surtout avec la forme que prennent les Epis noirs, c’est-à-dire chansons/théâtre. Mais c’est ça qui est intéressant.
C’est un éternel recommencement, l’histoire des dominants et des dominés reste actuelle
M.A : Le spectacle durait 5h30 à la base. On a raccourci à 90 minutes. Il faut qu’il y ait du rythme mais en même temps que ce soit drôle et qu’il y ait aussi de l’émotion. C’est tout un mélange. On a mis du temps à faire le spectacle. Maintenant, il est prêt !
P.L : On a mis du temps aussi parce que l’Histoire de France est très plombante. C’était compliqué de s’en sortir. On a trouvé le fil rouge de l’utopie qui suit tout le long le spectacle, cette idée de dire « libérons-nous ». Elle conduit à une idée de libération à laquelle ils ont cru avec la révolution française.
Etes-vous passionnés par l’histoire ?
P.L : Quand je suis parti à Londres pendant les mouvements punks, j’ai fait une année par correspondance de cours d’histoire.
M.A : Pas du tout. J’étais en Suisse et je ne connaissais rien de l’histoire de France. Mais j’ai appris plein de choses avec ce spectacle !
Qu’avez-vous aimé découvrir de l’histoire de France en écrivant ce spectacle ?
M.A : Toutes ces femmes. Je suis contente d’avoir pu les interpréter.
P.L : Beaucoup de personnages : les reines, les enfants rois, la classe populaire. C’est malheureusement très difficile de trouver des écrits du Moyen Age parlant de cette classe puisque personne ne savait écrire. Seul la Boétie a écrit quelques textes. Ce qui m’a intéressé aussi, c’est l’histoire des dominants qui étaient eux-mêmes dominés, ceux qui n’avaient pas d’aspiration à être dominant et qui étaient complètement paumés comme le Débonnaire.
M.A : C’est un éternel recommencement, l’histoire des dominants et des dominés reste actuelle.
Sur quels critères vous appuyez-vous pour ne retenir que quelques histoires parmi tous les événements qui composent l’Histoire ?
P.L : Les plus fortes théâtralement. Comme on avait 5h30 de spectacle, on s’est demandé si on n’allait pas faire une loterie. On tombe sur une scène au hasard et on la joue, un peu comme ce que le café de la gare faisait.
M.A : On a choisi en fonction des rires. C’est le public qui décide.
Quelle est votre anecdote historique préférée ?
P.L : Ce qui m’a marqué, c’est ce que je ne savais pas. Par exemple, Charlemagne s’est complètement fait manipuler par la papauté. Il croyait réellement à l’école et à l’éducation. La Boétie m’a beaucoup plu aussi. Il a défendu la classe paysanne bien avant la Révolution.
Quand j’écris les textes, j’essaie toujours de revenir au rythme
Dans ce spectacle, vous revisitez l’Histoire selon votre style. Quelle est votre vision de l’Histoire ?
P.L : On prône un peu cette vision universaliste dans le spectacle. Que l’être humain n’est pas encore fini parce qu’il n’a pas atteint le stade des étoiles donc il recommence toujours les mêmes choses. Au lieu d’être dans un éternel commencement, il est dans un recommencement perpétuel parce que c’est sa tête, son ego, sa peur et son désir qui le tiennent en existence. On n’est pas assez évolué encore. Mais peut-être que cette Histoire va nous amener petit à petit à être au niveau des étoiles.

Le retour aux sources pour mieux se retrouver, c’est un thème qui était déjà présent dans vos précédents spectacles. Pourquoi cette thématique de l’origine vous tient-elle tant à cœur ?
P.L : Je ne sais pas. C’est idiot mais je cherche une origine. Mais pourquoi ? Je suis à la recherche d’une pureté. Comme Orphée, une sorte de paradis perdu, quelque chose que l’on a perdu à un moment donné et que je recherche. Chez les Grecs, certains pensaient qu’il y avait un paradis perdu et que l’Homme avait construit le chaos et d’autres pensaient que le chaos était déjà là, et qu’il fallait trouver un paradis plus tard.
Dans ma vie personnelle, j’ai toujours recherché cet état de pureté. Et par le théâtre, je crois y arriver parce qu’on est maître du temps et de ce que l’on raconte. Quand on crée, on essaie d’avoir cette pureté. Quand les acteurs et les actrices sont sur scène, je ressens cette pureté, je sais directement ce qu’il faut faire alors que dans la vie je suis un peu perdu.
Quel est le secret pour réussir une bonne ellipse temporelle ?
M.A : On a énormément travaillé les liens. Parfois, pendant quelques jours, on ne travaillait que ça. C’est très important le rythme entre les scènes, les sorties et les entrées sont très chorégraphiées. Ça doit aider pour les ellipses.
P.L : C’est le fond qui va donner la forme. Si on se permet de sortir parfois de l’histoire de France pour cette utopie, ce fil rouge, c’est pour créer des liens et des ellipses, on nous pardonne tout parce que le fil qui est fait par les acteurs, le groupe, nous permet d’avancer et d’aller vers une libération.
Qu’est-ce qui a été le plus périlleux dans cette mise en scène ?
P.L : Ce qui a été périlleux, c’était l’écriture. Elle nous enfonçait dans l’histoire qui à un moment donné, n’était plus intéressante.

Comment se passent les répétitions ?
M.A : Au tout début, on découvre le texte quand on est sur scène. On ne l’a pas avant. Pour Pierre, c’est important parce qu’il entend tout de suite si ces mots vont aux sons. Aujourd’hui, on ne répète que des raccords.
Cela fait une trentaine d’années que vous participez au festival d’Avignon. Qu’aimez-vous dans cet événement annuel ?
P.L : La possibilité de ne pas être connus mais de pouvoir vivre de notre métier. Que des programmateurs viennent, prennent le spectacle. Tout le monde est à égalité à Avignon, chacun peut faire succès.
Ce qui a été périlleux, c’était l’écriture
M.A : J’adore l’ambiance d’Avignon. On joue dans la rue tous les jours. C’est fatiguant parce qu’il faut donner beaucoup d’énergie. S’il n’y en a pas assez, les gens s’en vont. Il y a un état d’urgence. Mais j’aime beaucoup, on revient à l’origine du théâtre et de notre compagnie. On travaille une parade, on chante, on danse. Ce festival donne aussi la chance à de jeunes compagnies.
Quels sont vos projets futurs ?
M.A : Allons enfants ! continue. Et il y aura peut-être la deuxième partie. Sinon, la compagnie est en train de monter un Britannicus réécrit en tragique Circus que l’on jouera à Avignon aux théâtre des Balcons à 20h.
Retrouvez Allons enfants ! des Epis noirs le vendredi 31 décembre, le 1er, 9 et 10 janvier à à 19h au théâtre de la Pépinière.

Photo de couverture : Anahi Matteo