Benoît Cauden est la révélation masculine des Molières 2022. Dans la comédie musicale Les Producteurs mise en scène par Alexis Michalik, il interprète brillamment Léo Bloom, un comptable malheureux qui s’associe avec Max Bialystock, un producteur déchu de Broadway pour monter la pire pièce possible. Rencontre avec un artiste talentueux.
Quel est votre premier souvenir lié à l’humour ?
Le premier souvenir qui me vient, ce sont les films de la troupe du Splendid : Les bronzés, Les bronzés font du ski ou le Père Noël est une ordure. Je devais avoir 5-6 ans. Je n’ai jamais été très dessins animés, je préférais les films que mes parents m’enregistraient sur cassettes. Je les regardais en boucle et je les connaissais par cœur ! J’essayais toujours de trouver un moment propice dans la journée pour placer une réplique avec la même intonation que les acteurs. Je voulais faire comme les grands, avoir des vannes d’adultes [rires]. Au départ, je comprenais seulement quelques blagues visuelles ou certains jeux de mots. Mais plus je grandissais, plus je comprenais les vannes, les situations ou les références.
Pourquoi avez-vous choisi de jouer dans des comédies musicales ?
Pour chanter ! J’ai fait dix ans de théâtre avant de m’intéresser à la comédie musicale que je connaissais très peu. J’ai rencontré Laura Bensimon, aujourd’hui mon épouse, qui jouait dans des comédies musicales. Je trouvais très impressionnant de jouer, chanter et danser en même temps. La comédie musicale véhicule une forme de magie auprès du public !
J’ai demandé à Laura Bensimon de me conseiller une prof de chant, j’ai pris des cours et j’ai passé des auditions. Par chance, ça a marché ! Maintenant, j’alterne entre comédie musicale et théâtre. J’aime beaucoup ces deux arts, ils permettent de transmettre des émotions différentes. Que ce soit en jouant ou en chantant, tant que j’interprète un personnage, je suis heureux. La scène me fait vibrer !
Dans Les Producteurs, vous interprétez Léo Bloom, un comptable malheureux qui rêve de devenir producteur. Qu’aimez-vous dans ce rôle ?
J’adore jouer des personnes mal à l’aise dans leur corps et dans leur vie avec un rêve qu’ils pensent inaccessible mais que la pièce rend possible. Ça donne au personnage une évolution incroyable entre le point de départ et l’arrivée. On peut jouer plein d’émotions et d’états différents. C’est un véritable bonheur d’interpréter Léo Bloom tous les soirs !
C’est un véritable bonheur d’interpréter Léo Bloom tous les soirs !
C’est la première fois que j’ai un rôle aussi important dans un spectacle. Et je pense que c’est potentiellement le rôle de ma vie. Un personnage qui soit aussi agréable à interpréter dans un spectacle que j’aime énormément, jouer dans un théâtre magnifique avec des partenaires superbes, ce sont beaucoup de choses mises bout à bout qui font que tu te dis : cette expérience-là, je ne vais peut-être pas en rencontrer beaucoup dans ma carrière donc profite et savoure cette chance ! C’est extraordinaire !
Et même lorsque l’on attaque le spectacle fatigué ou malade, la force du rôle, du spectacle et de la mise en scène d’Alexis Michalik qui demande un rythme soutenu, nous permet d’être, malgré nous, pris dans un tourbillon. On ne peut pas être en sous énergie. Alors même lorsque l’on pense que l’on n’y arrivera pas, on va puiser dans les réserves, l’énergie nécessaire pour faire le spectacle ! Sur scène, on est 16 comédien⋅ne⋅s mais le public est le 17ème comédien et il nous envoie aussi énormément d’énergie. On a la chance de jouer devant des publics qui sont différents mais toujours enthousiastes et réactifs !
Lors des répétitions, une des scènes a-t-elle été particulièrement difficile à apprendre ?
Quand on a monté mon premier numéro : Je voudrais être un producteur. Il y a une chorégraphie dans les escaliers. Cette scène a été très compliquée à répéter parce que j’ai des problèmes d’équilibre, une de mes oreilles ne fonctionne pas du tout, elle est totalement sourde. Si je ne regarde pas où je marche ou la direction dans laquelle je vais, je titube parce que je n’ai plus aucun repère. Quand Alexis Michalik m’a dit : « Il faut que tu montes et que tu descendes les escaliers de profil. Une fois que tu es en haut, les escaliers vont se mettre à bouger et tu continueras à chanter ». J’avais la trouille [rires]. Mais plus on a répété le tableau, plus Alexis Michalik m’encourageait. Il n’y a jamais eu de problèmes, et j’adore ce passage ! C’est les montagnes russes niveau émotion cette chanson.

Quel a été le passage le plus drôle à répéter ?
Quand on arrive avec Max Bialystock chez Roger De Bris (David Eguren) et qu’on est accueilli par Carmen Ghia (Andy Cocq), son secrétaire. Jouer face à Andy Cocq est un immense plaisir mais c’est extrêmement compliqué parce qu’il est à hurler de rire, qu’il se renouvelle sans cesse. En répét’, tant que je ne riais pas, il continuait son impro sur le jonglage avec des balles invisibles. Et il arrivait toujours à me faire rire. J’ai ri à toutes les répétitions et même jusqu’à la troisième représentation…
Sur scène, tous les comédien⋅ne⋅s doivent changer de costumes très vite. Comment êtes-vous organisés en coulisses pour respecter ce timing effréné ?
Alexis Michalik veut que ses mises en scène soient tourbillonnantes. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’il n’y a pas d’entracte. Il ne veut pas de pause dans ses spectacles, il ne veut pas que les gens aient le temps de s’ennuyer. Les comédien⋅ne⋅s ont toujours quelque chose à faire. Si on n’est pas sur scène, on a quelque chose à gérer au niveau du décor ou de la mise en scène pour que tout soit fluide, que tout s’enchaîne bien.
Il y a une chorégraphie dans les escaliers. Cette scène a été très compliquée à répéter parce que j’ai des problèmes d’équilibre, une de mes oreilles ne fonctionne pas du tout, elle est totalement sourde.
C’est une grande mécanique. Une fois que l’on a monté un tableau, on regarde quelle scène vient après. En sachant quel élément de décor doit sortir/entrer/être déplacé, on voit qui n’est pas en train de changer de costume ou en plein milieu d’une action, qui est disponible à ce moment-là pour s’en occuper. En fonction de ces paramètres, on trouve tous ensemble, quels vont être les rouages de cette transition, d’une scène à l’autre. Ensuite, on le répète jusqu’à ce que ce soit le plus efficace et le plus rapide possible.
Ce qui fait la force des mises en scène d’Alexis Michalik, c’est la fluidité entre les scènes : on passe du bureau de Max Bialystock à Central Park avec plein de petites vieilles en déambulateurs en 10 secondes. 14 personnes se sont changées, le canapé et le bureau sont sortis, un décor est levé et un autre redescendu par les machinistes. On a aussi deux habilleurs en coulisses qui permettent que tous ces changements soient possibles. Le plus compliqué, c’est pour ceux qui doivent changer plein de fois de costumes pendant le spectacle. On est 16 et on a 200 costumes. Moi, je n’en ai que deux pour ce spectacle.
Si on pouvait poser une caméra en coulisses, on verrait une deuxième chorégraphie, un autre spectacle !
A force de répéter, tu trouves ta routine et la manière de disposer ton costume : tu sais que tu dois attraper ta casquette à tel endroit, que tes lunettes doivent déjà être ouvertes parce que tu n’as pas le temps de déplier les branches sinon tu perds une demi-seconde, … tout ça, ce sont des petites choses que tu construis au fur et à mesure des répétitions. Et puis, une fois que tu es prêt, tu vas aider un⋅e autre comédien.ne à s’habiller parce qu’il ou elle n’a pas assez de temps pour le faire tout⋅e seul⋅e. Tout est rythmé sur des répliques, sur des accents musicaux. On trouve des repères pour savoir si on est à la bourre ou dans les temps. Si on pouvait poser une caméra en coulisses, on verrait une deuxième chorégraphie, un autre spectacle !
Comment s’est passée la première représentation ?
C’était fou, j’avais un trac monstrueux mais qui m’a boosté. Et puis, on avait travaillé pendant 6 semaines, à répéter, à changer, à modifier des choses. Les répétitions étaient toujours en public. Alexis Michalik aime inviter des gens aux répétitions, par le biais de concours Instagram par exemple. Comme on monte une comédie, à force de la jouer en vase clos, on ne se fait plus forcément rire nous-mêmes au bout d’un moment. Alexis nous disait : « On monte une comédie, c’est normal que certaines blagues ne nous fassent plus rire, mais ça ne veut pas dire qu’elles ne vont pas marcher ».
On est une troupe, au sens où Alexis Michalik l’aime : ce ne sont pas 16 individus mais un grand élément composé de 16 éléments différents. Quand quelqu’un a besoin d’aide ou de soutien, tout le monde est là.
Le fait d’avoir des gens tous les jours nous donnait un petit carburant, on ne jouait pas que pour nous, on jouait pour de vraies personnes et ça nous permettait, comme c’est une adaptation, de voir quelle vanne marchait à chaque fois sur des publics différents, qu’elle vanne ne prenait jamais ou rarement. C’était vraiment chouette, on avait hâte de faire la première !
Une fois qu’on joue une pièce devant un public, elle nous appartient beaucoup moins parce que tout à coup, on implique des centaines de personnes qui vont prendre part à ce spectacle. On la remet dans leur main et on se demande : est-ce que ça va plaire ? est-ce que ça va marcher ? est-ce que le bouche à oreille va fonctionner ? Les Producteurs ont très bien marché dès le début, on a beaucoup de chance, on est très heureux !

Avez-vous un rituel, tous ensemble, avant de monter sur scène ?
On en peut pas en avoir en groupe parce que jusqu’au lever de rideau, entre le maquillage, la pose de perruques ou de costumes qui ne sont pas toujours évidents à mettre, la pose du micro, il n’y a pas un moment où on peut se retrouver tous ensemble, faire une ronde, un cri de groupe et s’encourager.
Mais on a chacun des rituels avec tout le monde. A force d’être prêt à entrer en scène avec la même personne à côté de toi, tu mets au point, sans t’en rendre compte, des petites tapes de main, des clins d'œil, des petites phrases, des regards,... Ce sont des gimmicks, des petits rendez-vous qui sont devenus une habitude.
Notre groupe est très soudé et solidaire. Régis Vallée qui joue le rôle de Frantz Liebkind, avait dit que cette équipe est une mêlée de rugby. Et c’est vrai ! La première fois qu’un des membres de la troupe a eu une petite faiblesse, toute l’équipe a fait un bloc de solidarité instantanément. Une heure et demie avant le spectacle, une des comédiennes s’est fait mal à la cheville donc impossible de mettre des talons, de danser et de la remplacer. Alors on s’est dit qu’on allait faire au mieux pour elle. Chacun a pris des moments de son parcours pour la soulager. Les Dance Captain en charge du maintien des chorégraphies ont modifié tous les tableaux chorégraphiques. Tout s’est mis en place très vite et très calmement. Tout le monde écoutait, tout le monde était au taquet.
Un soir, je me suis fait un lumbago en plein spectacle au moment d’un porté avec Ulla (Roxane Le Texier), j’avais le dos complètement bloqué, au bord de l’évanouissement, je ne pouvais plus bouger alors qu’il me restait 50 minutes de spectacle. Tout le monde sur le plateau, la technique et les comédiens, ont fait bloc d’un coup. C’est un mécanisme de défense et de protection qui se met en place de manière assez évidente. C’est vraiment très joli et émouvant à voir.
On est une troupe, au sens où Alexis Michalik l’aime : ce ne sont pas 16 individus mais un grand élément composé de 16 éléments différents. Quand quelqu’un a besoin d’aide ou de soutien, tout le monde est là.
Vous êtes nommé aux Molières, que représente cette nomination pour vous ?
Une grande surprise, je n’y aurais jamais pensé ! Je suis également heureux qu’un spectacle musical puisse avoir quatre nominations, c’est incroyable. En France, à Paris, il n’y a pas la culture de la comédie musicale comme à Broadway ou à New-York donc ces quatre nominations montrent qu’elle commence à gagner en popularité. On s’intéresse à des performances artistiques qui ne sont pas uniquement théâtrales mais aussi musicales. C’est un honneur et un plaisir !
Pour assister à la comédie musicale Les Producteurs, rendez-vous sur le site officiel du Théâtre de Paris. Suivez l'actualité de Benoît Cauden sur Instagram et Facebook.

©Photo de couverture : Alessandro Pinna