Membre du quatuor les Chiche Capon pendant 20 ans, Fred Blin présente son premier seul-en-scène : A-t-on toujours raison ? Which witch are you ? au Théâtre du Petit Saint-Martin. Un spectacle dans lequel le comédien nous promet illusions, surprises et galères. Rencontre avec un artiste qui jongle habilement avec le chaos.
Pourquoi l’art du clown vous fascine ?
Comme tout art, c’est infini. On est toujours face à un nouveau challenge. Le clown rejoint plein de disciplines et tous les apports techniques sont bienvenus. Tu peux inclure tout ce que tu sais faire dans l'écriture. Parce qu’en plus de l’écriture textuelle, tu peux incorporer toutes les fantaisies que tu souhaites : la musique, le chant, apprendre à faire de la corde à sauter, jongler avec des quilles, ...
Le terme clown est parfois assimilé à un aspect péjoratif et même horrifique…
Le mot « clown » peut induire en erreur. Tout le monde a une idée bien précise sur ce qu’est un clown mais personne n'en n’a jamais vraiment vu en spectacle. On se base seulement sur des images d’Epinal. Et puis, avant d’être une esthétique, le clown est une liberté de création. A l’âge d’or des clowns, ils étaient tous très différents. Ils pouvaient être maquillés ou non, qualifiés de fantaisistes ou de clowns de cirque, etc.
Quel est le point de départ de ce seul-en-scène ?
Un accident. Je suis en résidence à Marseille et je travaille quatre jours. Je demande au directeur du théâtre si je peux faire une représentation de résidence mais sans prétention, juste 20 minutes.
Le jour de la représentation, je présente ce que j’ai travaillé. Au bout de 20 minutes, je remercie le public et je leur dis : « C’était la représentation de cette résidence ». Je vois que personne ne bouge… Je leur redis : « C’est terminé ». Ils me demandent : « Déjà ? ». Je leur réponds : « Bah oui, c’était une représentation de résidence, j’ai travaillé que quatre jours, je ne suis pas une machine. Et puis, vous n'avez pas payé ? ». Ils me disent : « Bah si, on a payé 5 euros ! ».
J’ai passé mon temps à rechercher cette perdition qu’il y avait eu ce jour-là pour construire mon nouveau spectacle
Du coup, j’ai continué en faisant tout ce que je pouvais et que j’avais en réserve jusqu’à bout de force pour les contenter. Après cette représentation, j’ai passé mon temps à rechercher cette perdition qu’il y avait eu ce jour-là pour construire mon nouveau spectacle.
Dans votre spectacle, vous incarnez un nouveau personnage. Comment l’avez-vous créé ?
Petit à petit. J’avais des intuitions mais ce personnage est né d'accidents au fur et à mesure des représentations. J’ai fait beaucoup d’essais et de rodage. J’avais envie de créer un spectacle trop court et de me laisser tomber dans cette loose totale pour essayer de toucher le vide du doigt. Avec les expériences et les années, j’ai construit mon propre monde et mon propre théâtre. C’est un chemin personnel. Ce spectacle, c’est mon théâtre.
Comment avez-vous trouvé votre accoutrement ?
Pendant les soldes, j’ai acheté cette jupe, le manteau aux puces et la casquette Ferrari, dans une aire d’autoroute. Je l’ai prise parce que je me suis dis que ça lui irait bien, je trouvais que c’était très classe.

Comment décririez-vous le clown que vous êtes sur scène ?
Quelqu’un de normal et d’humain avec toutes les difficultés que cela implique. Il n’est ni dans l’absurde ni déjanté. Il ne parvient pas à se plier aux standards ou à se fondre dans ce monde complexe. Il est très joyeux, mais c’est vrai qu’une heure de ce spectacle, c’est long pour lui…
Quelle facette de la personnalité du personnage avez-vous choisi de mettre en lumière pour ce seul-en-scène ?
La facette de la sagacité : comment faire pour rebondir malgré l’échec et durer le plus longtemps possible tout en restant de bonne humeur. Mettre en lumière aussi ce positionnement par rapport à l’échec et à l’incompréhension du monde.
Vous arrive-t-il de douter d’une représentation à l’autre ?
Tout le temps. Même si tu as eu du succès la veille, il faut refaire le spectacle le lendemain. Je feins le chaos mais je suis censé maîtriser ce que je fais. Je me suis donné le luxe de jouer le spectacle en maîtrisant le moins possible, de me tromper et de ne pas prendre de décisions d’écriture trop tôt. Toutes ces choses faisaient partie du processus de création et je suis très content de l’avoir fait. Je voulais me perdre et j’espère que ça m’a ouvert des portes.
Le clown est une liberté de création
Vous avez joué votre spectacle en catalan après l'avoir écrit et joué en français. Comment s’est passé ce travail de réécriture ?
Écrire en catalan m’a beaucoup aidé. J’ai pu sortir de ma zone de confort. Parce qu’en français, ma zone de confort, c’est la parole. Mais la parole peut parfois prendre le pas sur le corps et venir briser l’espace réactif ou flouter la situation.
Passer dans une langue qui n’est pas la mienne m’a fait enlever plein de blagues qui s’avéraient complètement inutiles pour le récit. J’ai joué le spectacle 25 fois en catalan. Ces représentations ont fait un bien fou au spectacle. Je le conseille à tout le monde.

Votre spectacle s’intitule A-t-on toujours raison ? Which witch are you ?. Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
Je voulais qu’il y ait le terme sorcière dans le titre. J’ai choisi ce mot par rapport à l’intuition, au fait de se reconnecter avec son ressenti, à soi-même. Je voulais amener l’idée que le ressenti prend une place plus importante que le cérébral. J’aimais aussi le côté non standard de la sorcière en marge du monde.
J’avais envie de créer un spectacle trop court
Quand j’étais petit, j’ai rencontré une rebouteuse. Je faisais de l’asthme et j’habitais à la campagne. On m’a emmené voir cette énergéticienne, la dernière sorcière du coin. Elle m’avait dit : « Il y a deux choses importantes dans la vie. La première : toujours écouter ses premières idées. Et la deuxième : manger du muesli tous les matins ».
Avez-vous suivi ces deux conseils ?
J’ai essayé de suivre mes intuitions mais ce n’est pas toujours facile d’écouter ses premières idées. Et puis, il faut parfois se donner du temps pour aller au bout de ce qu’on veut faire et que ces idées réussissent. Quant au muesli, j'en ai mangé pendant pas mal d’années mais j’ai arrêté.
Quels sont vos prochains projets ?
On revient bientôt avec les Chiche Capon ! Je serai aussi en tournée avec Gustave Akakpo pour le spectacle Comme la France est belle. Et puis, tout doucement, je commence à réfléchir à un nouveau solo.
Pour assister au spectacle de Fred Blin, rendez-vous sur le site du Théâtre du Petit Saint-Martin. Retrouvez toute l'actualité de l'artiste sur Instagram.

©Photo de couverture : Fanchon Bilbille