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Rencontre avec Guy Carlier : « La qualité, c’est notre quête à tous »

Chroniqueur à la radio et à la télévision, Guy Carlier est également écrivain et parolier. Connu pour son humour grinçant, il présente son nouveau seul-en-scène au Théâtre des Mathurins jusqu’au 22 mai 2022. À l’âge de 72 ans, l’homme ose se dévoiler. Doux, vulnérable et plein d’espoir, l'artiste souhaite réenchanter les générations futures. 

Portrait chinois. Si vous étiez…

Un animal : un basset hound. C’est un chien lent et généreux. Lorsque j’étais marié à Joséphine Dard, nous en avons adopté un pour la naissance de notre premier fils Antoine. Il s’appelait Salami. Une espèce de grosse saucisse. Je me disais tout le temps : « Ah j’aimerais bien être Salami ». Il était cool. Pas d’agressivité, pas de tension. Il avait résolu des problèmes existentiels ! [rires] 

Un mot : la qualité car je crois que c’est notre quête à tous. On recherche la qualité dans nos actions et dans nos rapports avec les autres. C’est en lisant Le Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes de Robert M. Pirsig que j’en ai pris conscience. Le roman raconte la vie d’un père et d’un fils qui partent en moto à travers les Etats-Unis pour retrouver un prof de philo dont le sujet est tout simplement « la qualité ». Et tout au long de ce voyage initiatique, le père apprend à son fils à entretenir la moto. 

Un art : l’écriture. Elle ne fait pas partie des arts majeurs comme disait Gainsbourg, mais c’est comme ça que je la considère. C’est un art qui nécessite de la technique, de la connaissance, de l’expérience et du génie. 

Quand vous étiez jeune, vers quelles études vous êtes-vous d’abord dirigé ? 

J’ai commencé par faire une fac de sciences économiques parce que je voulais avoir un job qui soit « cool ». En stage, j’arrivais au boulot à 9h00. 9h05, je me demandais : mais comment font les autres pour tenir ? Alors, j’allais glander et fumer une clope aux toilettes. Et puis, je revenais. Je voyais la comptable qui enlevait ses talons pour mettre ses chaussons sous le bureau. Je me disais que je n’allais pas pouvoir passer une vie comme ça. Mais, j’ai eu mon premier job et je suis devenu directeur financier. Dans l’une des entreprises pour laquelle j’ai travaillé, on s’occupait de l’architecture et de la décoration pour les princes saoudiens. J’ai donc énormément voyagé notamment à Marbella et à Beyrouth. À Santa Barbara, j’ai joué au foot avec l’acteur américain Ryan O’Neal, c’était extraordinaire. 

Vous avez été directeur financier jusqu’à 40 ans, puis vous êtes devenu parolier pour de célèbres chanteurs tels que Julien Clerc, Gilbert Bécaud ou Johnny Hallyday. Comment êtes-vous passé d’un métier à l’autre ? 

Quand j’écoutais la radio, je me disais souvent : « Tiens, l’auteur de la chanson aurait dû mettre tel mot à la place de tel mot » ou « Là, il aurait dû développer ». En parallèle à mon job, j’avais un groupe de rock que je voyais le week-end. C’était si nul ce qu’on faisait, mais je m’éclatais [rires]. J’écrivais nos chansons et j’adorais ça. 

À Santa Barbara, j’ai joué au foot avec l’acteur américain Ryan O’Neal, c’était extraordinaire

Ensuite, mon entreprise a déposé le bilan. Comme il n’y avait pas internet, j’ai acheté Le guide du Show Business dans lequel on trouvait les contacts des boîtes de production ou des attachés de presse des artistes. Je ne doutais de rien, je voulais envoyer mes chansons à Michel Jonasz. Alors, j’ai laissé un message à son attaché de presse et il m’a rappelé ! Il m’a dit que Michel écrivait lui-même ses textes et a ajouté : « Ils sont au top tes textes ! ». Ce n’est pas le seul à m’avoir encouragé. Michel Delpech m’a dit un jour : « Même si vous avez déjà un métier, osez faire celui-là parce que vous y trouverez votre bonheur ».

Un jour, Orlando, célèbre producteur et frère de Dalida m’a téléphoné et m’a proposé de trouver la phrase d’accroche pour un refrain d’une chanson de la jeune chanteuse belge, Melody et j’ai réussi. Y a pas que les grands qui rêvent a remporté un succès colossal. D’autres éditeurs m’ont proposé de signer avec eux. La machine était lancée. J’ai eu la chance de réussir sans galère. 

En 1997, vous entrez à la radio en tant que chroniqueur sur France Inter dans l’émission Dans tous les sens avec Laurent Ruquier et dans l’émission Le Fou du roi avec Stéphane Bern. Vous passez de parolier à chroniqueur. Comment s’est faite cette transition ? 

Je suis devenu chroniqueur parce que je voulais faire marrer mon fils, Antoine. À l’époque, Jean-Luc Delarue animait une matinale sur Europe 1. Les gens appelaient pour donner leur sentiment sur le programme télé de la veille. Je me souviens d’une dame qui avait téléphoné pour se plaindre d’une miss météo. Elle gueulait : « Mais Jean-Luc, quand la miss montre Strasbourg, elle met son cul devant Brest. Elle n’aime pas la Bretagne ou quoi ? » Il y avait vraiment de tout [rires] ! 

Michel Delpech m’a dit un jour : « Même si vous avez déjà un métier, osez faire celui-là parce que vous y trouverez votre bonheur »

À cette période, mon fils avait un prof de maths horrible. Alors pour le faire rire, j’ai créé un personnage de vieux con réac’, le professeur Zermatti. Et je téléphonais régulièrement à l’émission. Au début, l’équipe me prenait au sérieux jusqu’à ce qu’ils comprennent que c’était un canular. Et puis, ils ont insisté pour que je continue. Alors tous les matins, ça m’obligeait à trouver des bons gags, un peu comme une chronique. 

Laurent Ruquier m’a entendu à la radio et m’a dit : « Ce que vous faites, vous ne voulez pas le faire en étant payé ? ». C’est comme ça que j’ai rejoint l’équipe de France Inter. J’ai essayé une première chronique, puis une deuxième, puis une troisième, jusqu’à en faire tous les jours. J’ai autant adoré travaillé avec Laurent Ruquier qu’avec Stéphane Bern. On avait une belle complicité. 

Lors de votre première chronique radio, Henri Salvador était présent. Par la suite, vous avez gardé un bon contact avec lui. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

C’est vrai, c’était ma toute première fois à la radio et Henri Salvador était l’invité de l’émission. Je commence ma chronique et dès ma première vanne, voilà qu’il éclate de rire. C’était juste génial. Quelques années plus tard, il sortait son nouvel album Chambre avec vue. Il m’a contacté pour me demander d’écrire ses textes de scène pour son concert au Palais des Congrès. En tout, il y avait plus d’une demi-heure de textes comiques entre les chansons. Il était très content, mais embêté parce que j’étais payé en droits d’auteur et que j’allais donc recevoir l’argent plus tard. Je me souviens qu’il habitait Place Vendôme, au-dessus d’une galerie de peinture. Un jour, on est allé chez lui pour travailler et il s’est arrêté devant un tableau qu’on trouvait magnifique. Il est rentré dans la galerie et me l’a offert. Le tableau est toujours accroché dans ma chambre. 

En 2004, c’est à l’écran qu’on vous découvre. Vous devenez chroniqueur à la télévision sur France 3 dans l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde animée par Marc-Olivier Fogiel. Pouvez-vous revenir sur cette transition vers la télé ? 

Comme ça marchait vraiment bien pour moi à la radio, tout le monde me demandait de faire un truc à la télé. Michel Drucker, Thierry Ardisson et d’autres personnalités m’ont proposé de participer à leur talk-show, mais j’ai systématiquement refusé. Je ne voulais pas casser le mythe. Je souffrais de boulimie et j’étais en surpoids. Or, les gens connaissaient ma voix, mais pas mon apparence physique. 

Un jour, Marc-Olivier Fogiel me demande de travailler avec lui. À première vue, c’était non, il avait une mauvaise réputation. Mais je déjeune avec lui et je découvre un mec sensible. Il m’explique le monde de la télévision et le fait qu’on y incarne des personnages. Ceux qui jouent les « gentils » ne sont pas nécessairement gentils dans la vie, pareil pour les « méchants ». Alors j’accepte sa proposition de chronique. Elle s’appelait Guy Carlier dans le bocal, en référence à mon passage de la radio au bocal, la télé. 

Y a t-il des grands moments qui vous ont marqué dans cette émission ? 

Oui, il y en a tellement ! J’aimais l’ambiance générale et mon amitié pour Marc-Olivier Fogiel. Pour se préparer, on répétait tout l’après-midi. Il y avait un gros enjeu puisque l’émission durait trois heures et en direct ! Il y avait des stagiaires qui jouaient les invités et tout était millimétré : les jeux de lumières, les entrées et sorties de plateau, etc. 

Chaque soir avant l’émission, Marc-O venait regarder la fin du JT dans ma loge. Juste avant d’entrer sur le plateau, on s’embrassait et on se disait : « que la force soit avec toi » avec en fond, les cris du public enjoué par les chauffeurs de salle. J’aimais beaucoup ce moment-là. En fin d’émission, on débriefait toujours dans ma loge avec l’invité phare de l’émission. 

Un jour, Alain Delon était invité. Il se souvenait de moi parce qu’on s’était croisés deux semaines avant dans les loges du Palais des Congrès. Il y avait des petits bols d'apéritif dans lesquels j’avais tendance à ne piocher que les noix de cajou et à laisser les cacahuètes. Quelques instants plus tard, je vois la main d’Alain Delon plonger dans le bol. Je voyais bien qu’il cherchait les noix de cajou, mais je les avais toutes mangées ! [rires] 

Surnommé le « sniper des médias », les célébrités vous redoutaient. Isabelle Hupert vous en a même parlé. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Je n’hésitais pas à chambrer les invités qui venaient pour faire la promotion d’un disque, d’un livre ou d’un spectacle. Je crois que je ne me rendais pas compte des enjeux économiques et marketing énormes qui pouvaient varier en fonction de leur passage à l’émission. Je m’en fichais ! Mais c’est vrai que j’étais malheureux si je blessais quelqu’un. 

Quand on est accro à quelque chose, on se détruit et on détruit ses proches

Un soir, on recevait Isabelle Hupert. Elle entre par le grand escalier et me dit discrètement à l’oreille : « Ne soyez pas méchant, j’ai peur de vous ». À ce moment-là, j’ai eu une grosse remise en question. Je me suis dit : « Mais quel monstre suis-je devenu pour qu’elle soit terrorisée ? ». À la fin de l’émission, j’ai dit à Marc-O que j’arrêtais et je suis revenu faire la matinale de France Inter à la radio. 

En quoi votre premier seul-en-scène Ici et maintenant était à la fois un défi et une thérapie ? 

Plusieurs directeurs de théâtre assistaient aux chroniques de France inter et m’encourageaient à faire de la scène. Mais j’étais de plus en plus gros à cause de ma boulimie et je craignais le regard du public. Laurent Ruquier m’a beaucoup poussé à le faire quand même. Alors j’ai accepté en me disant que je le ferai l’année d’après et que j’aurai le temps de perdre du poids. Sauf que j’ai grossi et que je ne pouvais plus marcher. J’ai donc annulé et d’autres humoristes m’ont remplacé. J’ai quand même voulu assister au spectacle. 

Quand les gens m’ont vu dans la salle, ils m’ont acclamé. Je les entendais crier mon nom et ça m’a énormément touché. J’ai dit au directeur du théâtre que je lui promettais que le jour où je serai prêt à jouer mon spectacle, je ferai la première sur sa scène. Et c’est ce que j’ai fait en 2011. J’étais encore à 150 kilos. Mais la boulimie était derrière moi. Dans mon spectacle, je racontais mon vécu lié aux cures d’amaigrissements et à la prise en charge de la maladie. Dans mon cas, j’étais accro à la nourriture. Et quand on est accro à quelque chose, on se détruit et on détruit ses proches. On ment, on triche, on se cache. On est seul avec la honte et la culpabilité. C’était vraiment important pour moi d’en parler parce que ça m’aidait et ça pouvait potentiellement aider d’autres gens qui souffraient d’addiction. J’ai également écrit un livre là-dessus qui s’appelle Moins 125.

Dans votre nouveau spectacle, vous exprimez le besoin absolu de réenchanter les générations futures... 

Je me suis aperçu que c’était la suite du premier. Avant j’étais gros, maintenant, je suis vieux. J’avais conscience que le public me connaissait surtout pour mon humour grinçant. Alors évidemment, dans la première partie, il y a pas mal de vannes. Et quand François Rollin, mon metteur en scène, est venu m’aider pour écrire la suite, tout a basculé. 

Il m’a raconté que la veille, il avait assisté à l’enterrement d’un ami de son fils qui était décédé lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. C’était un choc. J’avais l’impression qu’on laissait aux jeunes un monde désenchanté. Pour la seconde partie du spectacle, j’ai donc décidé de revenir sur les raisons qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. J’ai appris à retrouver le goût du bonheur et à saisir la magie de ces moments. C’était important pour moi de le partager aux jeunes générations. 

Pour assister au spectacle de Guy Carlier, rendez-vous sur le site du théâtre des Mathurins. Suivez son actualité sur ses comptes Instagram et Facebook

©Photo de couverture : Laura Gilli

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