Comment faire rire en parlant de la colonisation et de l’esclavage ? C’est le pari relevé par Lenny M’Bunga sur scène. Pour nourrir ses vannes, l’humoriste a avalé des livres entiers sur l’histoire de l’Afrique. Entretien avec un humoriste engagé.
Comment êtes-vous venu à vous intéresser aux questions du racisme et de la colonisation ?
Quand j’étais petit, mon père avait pas mal de livres sur ce sujet. Je voyais cela comme des livres ennuyeux car il n’y avait pas d’images. Pourtant, les couvertures de tous les ouvrages de sa bibliothèque sont restées dans un coin de ma tête. Depuis cinq ans, je m’intéresse à ces questions. Etant issu d’un métissage de part mon père qui est d’origine congolaise et angolaise et ma mère qui est réunionnaise. Il y a aussi le fait d’avoir grandi à Nice. J’étais souvent le seul noir de la classe.
Cela se passait comment ?
J’étais un peu « le noir de service » même si à l’époque, tout ce qui était autour de moi tout ce qu’on me disait n’était pas forcément du racisme mais de la rigolade. J’ai eu toutes les blagues du monde. Je ne pense pas que mes camarades le faisaient méchamment. Je ne le prenais pas mal, car je me disais que c’était pour rire. En plus, c’était mon quotidien. A part une fois où j’ai eu un remarque raciste. Un camarade de classe m’avait dit « de toute façon vous vous êtes des esclaves ». J’étais en CE1 et je ne savais pas quoi répondre. Je suis allé voir mon père pour lui raconter. Il m’a dit « Dis lui bien qu’ils sont des photocopies, vu que le premier homme qui est apparu sur terre était noir. Les esclavagistes étant en quelque sorte les descendants des esclaves. » Je suis reparti à l’école et j’ai ressorti cet argument mais n’importe comment, même si cela m’a rassuré sur le coup.
Comment avez-vous préparé ce spectacle ?
A ce jour, c’est le spectacle dont je suis le plus content, car c’est celui sur lequel j’ai le plus travaillé. J’ai énormément lu dans les bibliothèques et acheté des livres les librairies. Cela est aussi passé par des rencontres avec des associations, notamment ceux qui viennent en aide aux migrants. L'objectif était de voir ce qu'ils pensent réellement de nous. Entre noirs, il y a des différences entre ceux nés ici et ceux qui viennent d’arriver. Certaines personnes utilisent même un mot péjoratif pour les migrants « blédards ». Il ne faut pas oublier que nos parents sont eux aussi passé par là.
Cet angle a dû vous apporter un nouveau public ?
Le public est très métissé, c’est ce que je cherchais. J’en avais marre de faire rire pour faire rire. Je voulais aller vers des sujets autre comme la vie de couple ou le sexe. Thèmes souvent abordés dans les sktechs. Cela m’a permis de dépasser les clichés notamment sur mes origines. Notamment, sur la question de la perception du corps noir. Tant que l’Afrique n’aura pas de poids, tu pourras être noir partout, ce sera compliqué dans le monde entier. Nous devons retrouver notre place d’être humain. C’est dur de lutter contre l’Histoire. L’histoire qu’on t’apprends à l’école te forge. On nous enseigne De Gaulle, Napoléon et la Révolution qu’on nous idéalise sans évoquer les actions négatives qu’ils ont pu commettre.
En France, la diaspora africaine s’intéresse à ces questions ?
Ils ne s’intéressent pas forcément à ces questions mais aux traditions. Les gens revendiquent leurs cultures mais ils sont majoritairement ignorants de leurs histoire. C’est un travail à faire pour déconstruire une partie de ce qu’on a appris et pouvoir se reconstruire.
Le stand-up était votre plan A ?
J’ai toujours su que je voulais travailler dans l’artistique, sans savoir dans quel domaine. Ce que j’ai tout de suite aimé dans le stand-up, c’est le fait de pouvoir gérer ses choses et de pouvoir balancer son texte tout seul sur des sujets qui te tiennent à cœur. J’avais une K7 d’Anthony Kavanagh, même si ce n’était pas du stand-up, comme aujourd’hui, j’ai accroché. Je faisais le Cours Florent, puis j’ai arrêté ensuite j’ai fait des cours de théâtre dans le Marais qui étaient très axés sur l’humour. J’ai commencé les scènes ouvertes rapidement.
Comment voyez-vous l’évolution du stand-up depuis vos débuts ?
C’est bien de voir de plus en plus de comédiens qui se lancent et de plateaux qui se créent. Plus de choix, une palette plus large pour le public. Par contre, le prix des places est en train d’augmenter avec certains spectacles qui ne sont à pas moins de 25 - 30 euros. C’est une forme de « boboisation ». J'ai peur que cela devienne comme le rap. Pour ma part, avant c’était moi « le petit jeune », maintenant sur certains plateaux je suis devenu « l’ancien ». Donc cela me pousse à me réinventer.
Vous êtes déjà allé en République Démocratique du Congo ?
Non pas encore, j’ai failli y aller une fois en famille mais cela ne s’est pas fait. Une autre fois on m’a proposé de faire une scène, le hic c’est que je devais serrer la main du Président. Je ne me voyais pas faire cela. Même si j’ai dû refuser une belle somme d’argent.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Séries ou films du moment ?
J’ai eu ma petite phase Game of Thrones. Bon en tant que Panafricaniste, j’ai relevé l’anomalie concernant l’absence de rôles avec des personnes racisées dans la série. Sinon, je regarde The Walking Dead et Power, la série de 50 Cent.
Votre pire anecdote sur scène à part Bercy et l’épisode de Lauryn Hill?
C’était pour La nuit des Publivores en 2013. Ce soir-là, je jouais avec Fadily Camara. Entre plusieurs pubs, ils voulaient mettre des humoristes. Fadily passe, elle cartonne. Quelque temps après c’est à moi. Je vois les gens qui se lèvent. Je pensais que c’était une standing ovation. Non en fait ils se barraient. Je fais mon sketch mais il restait 80 personnes sur 2000. Je joue quand même devant cette foule dispersée. Là, il y un couple de vieux qui se lève. Je leur demandent pourquoi ils partent. Le couple s’est regardé et l’homme m’a répondu dans une langue étrangère que je ne comprenais pas. Je le laisse partir et les 78 personnes restantes rigolent. Le mec me dit « merci » avec un français net. J’ai compris après que je jouais pendant l’entracte.
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