Connu sous le pseudonyme @UnPied sur Instagram, l’auteur et dessinateur Marc Dubuisson renouvelle le dessin de presse avec un style à la fois simple et absurde. Sous forme de strips, il analyse, décortique et critique l’actualité en BD pour Les Échos et 7sur7.be. Rencontre.
Pourquoi avoir choisi le pseudonyme « Un Pied » ?
C’est un nom que j’ai trouvé assez rapidement quand j’ai créé mon tout premier blog BD en 2005. Il fallait que je trouve un pseudo. J’ai réfléchi 5 secondes et puis, je me suis dit que je dessinais comme un pied, alors je me suis appelé « Un Pied ». J’aimais l’idée d’être ce fameux « pied » auquel on se compare quand on est un mauvais dessinateur. J’ai pensé : « Tant qu’à faire, autant être le meilleur des pires ».

J’avais créé mon blog en pensant qu’il n’y aurait que trois personnes dessus et que ça n’irait pas plus loin. Même si c’est mon métier aujourd’hui, j’ai gardé le nom pour la blague.
Comment êtes-vous devenu dessinateur de presse ? Etait-ce votre objectif ?
Non, j’ai un parcours un peu chaotique. La BD est arrivée par hasard. J’ai toujours aimé écrire et j’écrivais beaucoup au lycée. Mais je m’orientais plus vers de l’écriture cinématographique, télévisuelle ou vers de l’animation que du dessin. J’ai commencé des études d’infographie mais ça ne me plaisait pas tant que ça. J’ai donc essayé d’être professeur de français mais je n’étais pas du tout pédagogue.
J’avais besoin de m’exprimer, de me débarrasser de l’actualité qui me marquait en la dessinant.
Je me suis alors retrouvé au chômage. Je m’étais fixé un cadre pour ne pas perdre le rythme et je me levais tous les jours à sept ou huit heures. Tous les matins, je faisais un dessin. C’était le début des blogs BD. Comme j’aimais écrire et l'humour, je me suis senti inspiré. Le strip [n.d.l.r : format de BD très court], c’est quelque chose de direct tout en étant beaucoup plus lâche que le stand-up puisque, quand tu n’as pas de likes, tu as moins mal que quand tu n’as pas de rires. C’est un format qui est également bien plus instantané que la télévision ou le cinéma et comme je suis très impatient, je m’y suis retrouvé. J’ai commencé sans objectif précis, c’est avec le temps que j’en ai fait quelque chose de plus professionnel.
De qui vous inspirez-vous pour vos dessins ?
Je pense que mes inspirations sont assez classiques. J’admire Gotlib (créateur du mensuel de bande dessinée Fluide Glacial), André Franquin (connu pour Spirou et Fantasio, Gaston ou Le Marsupilami) et Morris (dessinateur de Lucky Luke). Le style d’écriture m’inspire aussi beaucoup. J’apprécie notamment celui d’Alexandre Astier, lui-même adorateur de Michel Audiard.

La particularité du strip, c’est son rythme. Pour cela, je m’inspire des séries américaines, comme Friends qui envoie des vannes toutes les dix secondes. L’échange entre les personnages est toujours bien écrit. C’est ce que j’essaie de recréer en BD.
Concernant l’actualité, était-ce quelque chose que vous aimiez traiter ?
J’ai toujours été intéressé par l’actualité. En 15 ans, j’ai fait plusieurs tentatives de dessin de presse. Le problème, c’est que je cherchais toujours à coller au style « dessin de presse ». Mais ça ne me correspondait pas. J’essayais d’être quelqu’un d’autre et je pense que ça se ressentait. Je n’avais jamais de bons retours, ce n’était pas forcément bon et ça n’intéressait personne.
J’ai un humour très formaté à internet et je me disais : « Ça passe ou ça casse ».
Puis, j’ai créé un livre, Ab Absurdo, avec des strips absurdes. Je trouvais que l’idée de faire un lien entre l’actualité et ce format spécial pouvait être intéressante. L’objectif était de proposer quelque chose de différent, d’amener un angle de vue nouveau, avec un peu d’absurde. J’avais besoin de m’exprimer, de me débarrasser de l’actualité qui me marquait, en la dessinant. Le format en quatre cases me semblait parfait pour raconter une petite histoire et apporter un peu de fantaisie.
Vous avez un style particulier qui se démarque des autres dessins de presse.
Oui, je voulais que ça change de ce qu’on voit habituellement. J’ai un humour très formaté à internet et je me disais : « Ça passe ou ça casse ». J’ai eu la chance que ce soit la première option. Dix ans plus tôt ou plus tard, ça n’aurait peut-être pas pris. C’était une question de timing. Proposer la bonne chose, au bon moment.
Vous êtes très présent sur le net, vous écrivez et dessinez pour les réseaux sociaux. Vous censurez-vous parfois ? Evitez-vous d’aborder certains sujets qui peuvent faire polémique ?
Je ne me suis jamais censuré mais je fais toujours attention à maîtriser les sujets que j’évoque dans mes dessins. Je me renseigne en profondeur sur le sujet et si je n’ai pas d’avis tranché, je préfère dessiner autre chose. J’ai peur de dire quelque chose et de penser le contraire deux semaines plus tard. Plus on est lu, moins on a le droit de raconter des conneries. Ce n’est pas une forme d’autocensure mais plutôt une façon de faire attention à ce que je dis et comment je le dis.

Je réfléchis toujours aux conséquences de mes dessins pour ne pas blesser inutilement quelqu’un qui n’a rien demandé. Parce que c’est aussi ça internet : pouvoir être regardé n’importe où et toucher n’importe qui. Alors j’assume toujours mon dessin et ses idées pour pouvoir me défendre. Je ne veux pas rire de ceux qui s’en prennent déjà plein la tête mais plutôt rire des « puissants ».
Avez-vous déjà été à l’origine d’un bad-buzz ?
Pour l’instant, j’ai été épargné ! Il y a toujours des petites réactions négatives mais jamais rien qui ne prenne de l’ampleur. Ce qui devient difficile, c’est de parler de sujets comme l’extrême droite. Les gens sont de plus en plus tendus sur ces questions-là. Je vois passer beaucoup de commentaires négatifs mais je sais que ces personnes ne seront jamais d’accord avec moi. Donc s’ils s’énervent dans leur coin, tant pis pour eux, ça ne changera pas ma vie.
Je ne me suis jamais censuré mais je fais toujours attention à maîtriser les sujets que j’évoque dans mes dessins.
Il y a aussi beaucoup de réactions des « anti-vax » qui me traitent de « mouton » à la « botte du gouvernement ». Mais il suffit de regarder quelques autres de mes dessins pour comprendre que c’est faux. Le format strip a l’avantage de poser un contexte ou de nuancer les propos. C’est plus simple qu’avec le dessin de presse classique qui résume tout en un seul dessin.
Selon vos critères, qu’est-ce qui est essentiel pour réussir un dessin ?
La première des choses, c’est sa clarté. Il doit être compréhensible assez rapidement. J’aime aussi mettre des éléments marquants, un détail sur un personnage qui retiendra l’attention de l’internaute par exemple. C’est la goutte d’eau qui fait passer du sourire au vrai rire. Et quand ça arrive, c’est toujours un sentiment hyper satisfaisant. Pour le reste, je travaille beaucoup au ressenti. Tant que je ne suis pas satisfait, je n’arrête pas.
Votre métier présente-t-il des difficultés particulières ?
La première difficulté, c’est de prendre suffisamment de recul sur l’actualité pour ne pas déprimer. Même en vacances, il faut garder un peu de temps pour ça, pour ne pas être déphasé une fois qu’on reprend le travail.
J’assume toujours mon dessin et ses idées pour pouvoir me défendre. Je ne veux pas rire de ceux qui s’en prennent déjà plein la tête mais plutôt rire des « puissants ».
Ensuite, je pense qu’il faut un esprit de synthèse et savoir mêler des informations. C’est intéressant d’être capable de mélanger deux actualités qui ont fait le buzz mais qui sont différentes. Il y a une double référence que tout le monde n’aura pas mais qui plaira à ceux qui l'ont. Depuis un an, il y a le coronavirus, alors j’essaye aussi d’apporter un peu de fraîcheur avec d’autres sujets.
Merci à Marc Dubuisson d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Retrouvez toute son actualité sur son compte Insta et sur son site.