Après la télévision et la radio, Yassine Belattar est revenu à ses premiers amours : la scène. Pendant 90 minutes, plus les prolongations, le natif des Yvelines, balance vannes sur vannes, avec en fil rouge l'actualité qu'il passe malicieusement au scalpel. Entretien avec un humoriste engagé.
Pourquoi avoir décidé de remonter sur scène ?
Je viens du stand-up en même temps que la radio. J’avais une troupe qui s’appelait Barre de rire avec N’gijol, Eboué, Le Comte de Bouderbala. J’ai arrêté car je n’avais plus grand chose à raconter. En fait, je viens de la scène et je suis un mec de scène qui faisait des vannes derrière un micro de radio ou de télé.
Dans votre spectacle, vous faites deux heures de spectacle ?
Heureusement que j’arrive à tenir deux heures sur scène. Quand tu vois le salaire horaire d’une femme de ménage, ce serait malheureux que je ne puisse pas faire une prestation aboutie. Je suis toujours surpris que les gens voient que cela puisse durer autant de temps.
Comment vous fonctionnez pour l’écriture ?
Je suis à quatre mains avec Thomas Barbazan, vu que mon meilleur ami est mon co-auteur, on a suffisamment de temps dans nos vies pour nous dire si cela nous fait marrer ou pas. Après, on est complémentaires. Il y en a un qui est plus émotif que l’autre. Moi il y a plus de choses qui me choquent surtout. Lui tempère pour savoir si c’est suffisamment drôle ou pas.
D’ailleurs, comment s’est faite la rencontre avec Thomas Barbazan ?
Cela fait quinze ans qu’on se connait. Un matin je suis arrivé à la radio quand on était sur Générations. Il faisait le flash info, il a fait une pauvre vanne sur Jacques Chirac, je l’ai trouvé marrant et c’est comme cela que le duo est né. Après, il y’a pas d’inquiétudes quand tu es avec le meilleur auteur de Paris. C’est quelqu’un de discret et c’est surtout un monstre de travail. On est pas un duo, on peut parler d’entité. À la radio quand il commence une vanne, je sais comment il va la finir et inversement. C’est comme NTM dans la musique.
L’actualité est très riche en ce moment, malheureusement pour le monde et heureusement pour vous ?
Je ne crois pas que pour les humoristes ce soit une bonne chose que le monde aille mal. Par contre, le monde irait encore plus mal si on n’en faisait pas des caricatures. C’est de la feignantise collective que les humoristes ne parlent souvent d’eux. Quand je parle de mes parents, je parle surtout de parents en général. Je pense qu’il fallait que cela soit suffisamment mûr pour évoquer ce genre de sujets. Ce n’est pas facile d’en parler, en tout cas ils sont nécessaires.
Vous pensez que les humoristes ne s’engagent pas assez sur la politique ?
Je vois très peu de spectacles d’humoristes, cela m’évite de copier ou d’être inspiré par qui que ce soit. Il faut rester isolé des autres, ce n’est pas un métier collégial. Par contre, j’aime bien les bandes. Aujourd’hui, les humoristes ont l’impression d’être des méga stars. Cela fait longtemps que j’ai commencé et j’ai fait en sorte de ne pas perdre mon intégrité. Il y a des humoristes qui aimeraient parler de sujets engagés mais ils veulent faire du cinéma, donc ils ne peuvent pas se le permettre. Ma fierté avec le spectacle, c’est l’idée de se dire qu’on fait quelque chose qui nous ressemble vraiment. A la fin du spectacle, je veux pas d’amis mais pas d’ennemis non plus. Tout le monde se prend une ogive nucléaire dans la gueule. C’est compliqué de dire que je suis plus agressif envers telle ou telle personne.
Qu’est-ce que vous aimez dans la scène que vous avez pas à la radio ou à la télé ?
Il n’y a pas d’intermédiaires. Si je veux faire un truc à la télé je dois faire 40 réunions, un peu moins si je veux faire de la radio. Sur scène, c’est un homme et des gens. C’est l’art je me sens le plus à l’aise.
Quelles sont vos références humoristiques ?
Il y a une culture du rire importante en France, au delà de tout. Ceux qui m’ont fait le plus rêver ce sont Le Luron, le Professeur Choron, Coluche ou Desproges. L’humour ne peut être qu’un outil pour dénoncer. J’ai adoré La télé des Inconnus, car cela nous a ouvert des perspectives de ouf. Smaïn a ouvert la voie, tout comme Jamel à ses débuts. Après ceux qui me fascinent le plus sont Desproges et Coluche, ils sont inégalables. L’époque n’était pas régi par des commerciaux mais par l’artistique.
Comment voyez-vous l'arrivée de cette nouvelle génération de stand-upers ?
Etant issu de la génération qui est arrivé avec le stand-up, on était les premiers. Cela me rappelle la chanson d’Aznavour, Je me voyais déjà . Ce sont des enfants, ils ont pas de vertu artistique. Je préfère me dire que je vais mourrir sur scène que dans un film. Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui sont des acteurs déguisés en humoristes, ils font des spectacles pour faire du cinéma. Il y a tellement de stand-upers que c’est devenu aussi risible que le rap français. Tu as vingtaine de personnes qui font vraiment le métier. Les autres cela part dans tous le sens, aujourd’hui des gens arrivent à vivre avec dix minutes de scène. Beaucoup de gens sont feignantes dans ce métier. Je suis toujours fier de voir un mec sur scène monter sur scène, se prendre des bides et continuer à travailler. Quelqu'un qui prend des risques.
Vous faites beaucoup de vidéos avec la connerie de la semaine ?
Le message que je veux faire passer cela dépend à quel moment je veux le faire passer. En ce moment je suis sur l’écriture d’un long métrage mais cela m’empêche pas de dire une certaine chose sur scène. Toutes les semaines, il se passe des choses, j’ai envie d’en rire. Quand j’ai envie d’écrire une tribune je l’écris. Ma fierté c’est que beaucoup de gens me font confiance, ce qui me permet de m’exprimer sur plusieurs supports.
Vous êtes à la radio sur Nova dans votre émission Les 30' glorieuses, qu’est-ce que vous apporte ce média ?
C’est mon média préféré. Je suis avec Thomas, on a envie et besoin de s’exprimer. Je connais l’équipe de Nova, on discutait sans jamais vraiment s’y mettre. L'an passé je suis venu faire une chronique. Lors de la rentrée dernière lorsque j’ai su qu’il y avait Edouard Baer, cela m’a donné envie de rejoindre l’aventure. C’est bien de le voir travailler et voir comment il crée. Notre émission marche si le contexte politique s’y prête. On a une demi heure tous les jours pour rire de la société. Faire une vanne sur une société qui part en sucette. C’est dans l’ADN de Nova. Comment ne pas s’exprimer dans une société ou le FN est à 30 %. ?
Justement avez-vous déjà pu converser avec des électeurs FN ?
J’ai joué dans des villes FN, la rencontre s’est faite d’elle même. L’électeur de base est vraiment raciste mais après la plupart des votes sont contestataires, c’est un vote de colère pas de raison. Le Francais est têtu mais pas idiot, il aime bien se faire peur. Il a pas envie de vivre dans un pays ou le FN est au pouvoir, car il est soucieux de son image. Il y a 70 ans ont donnait des enfants et des femmes juifs aux allemands, alors qu’ils voulaient que des hommes. 2002, c’était il y a quinze ans, sauf que maintenant le Français a accepté de voir Le Pen au second tour. Déjà tu as remarqué cela lui fait mal. J’en connais beaucoup des gens qui veulent braquer des banques mais j’en connais peu qui le font...
Vous avez repris le Théâtre de Dix Heures. Vous aimez bien lancer des nouveaux humoristes, comme Djamil le Shlag qui y joue…
C’est comme au foot, soit tu restes en neuf et tu marques des buts, soit tu recules d’un cran et tu fais des passes décisives. C’est magnifique de croiser des gens qui vont performer. Avec ma troupe Barre de rires, on a lancé Issa Doumbia, Alban Ivanov, Kyan Khojandi, Christine Berrou ou Anne-Sophie Girard. Lorsque je lance Benjamin Tranié ou Djamil le Shlag, je me découvre un peu à travers eux. Il ne faut pas être égoïste. C’est comme dans le Hip-Hop US, Dr Dre n'a eu aucun souci pour lancer Eminem. Quand j’ai l’opportunité de mettre un mec en avant, je ne me gène pas pour le faire. Avoir le Théâtre de Dix Heures, cela arrive à un moment de ma vie où la transmission est importante. J'ai envie de rendre à la culture française ce qu’elle m’a apporté. Si demain Djamil a une proposition d’une grosse production, je serai heureux pour lui. Le talent te stimule.
Votre spectacle s’appelle Ingérable, par rapport au fait qu’on disait que vous l’étiez dans les médias…
Dès qu’un arabe ou un noir ne se laisse pas faire, on dit qu’il est ingérable. Je ne suis pas une PME. La réalité ce que plein de gens se sont immiscés dans notre métier et ne sont pas artistes. Quand tu leur tiens tête, ils disent on peut pas bosser avec lui. Comme j’ai une force de caractère et une indépendance financière, j’ai pu continuer. Après le public est venu me voir, donc cela prouve que je ne suis pas tant que cela ingérable. Quand tu fais de ton plus gros défaut une revendication, tu peux en faire une force.
L’anecdote la plus marquante sur scène ?
J’en ai tous les week-end quand je joue, mon public étant assez taquin. Dernièrement, une femme a accouché pendant mon spectacle. Elle a tellement ri qu’elle a perdu les eaux. Le lendemain matin, elle m’a envoyé un message pour me dire qu’elle avait accouché. Si je commence à donner la vie à mon spectacle, je pense que c’est le meilleur argument artistique au monde.
Retrouvez Yassine Bellatar le vendredi et le samedi à 21h à la Nouvelle Eve.