
Rencontre avec Florence Mendez : « Quand j’étais petite, je voulais être Lara Croft »
À l’image de l’affiche de son spectacle Délicate, Florence Mendez est sensiblement badass et badassement sensible. Dotée d’un caractère bien trempé et d’une douceur apaisante, l’humoriste et chroniqueuse revient sur son parcours semé d’embûches et de victoires. Rencontre avec une artiste hors du commun.
Portrait chinois : si vous étiez…
Un animal : un chien.
Un mot : Compiègne. C’est un nom de ville qui me plaît, ça sonne bien.
Un art : l’écriture.
Une série : Game of Thrones. J’adore.
Un sentiment/une émotion : je serais l’intensité. Peu importe l’émotion.
Quel enfant étiez-vous ?
J’étais une enfant assez solitaire. J’étais plongée dans mes livres et leurs mondes imaginaires comme Le Seigneur des anneaux ou Harry Potter. J’étais donc plutôt seule mais vive. J’aimais aussi beaucoup être en compagnie d’adultes.
Quel métier vouliez-vous faire quand vous étiez plus jeune ?
Quand j’étais petite, je voulais être Lara Croft. Tueuse à gage aussi [rires]. À un moment, je voulais être avocate et faire du droit international. Je me suis aussi imaginée fleuriste. Mais Lara Croft, c’est ce qui m’est resté le plus longtemps. J’ai toujours adoré les meufs badass.
J’ai toujours adoré les meufs badass.
Finalement, vous êtes devenue professeure d’anglais et de néerlandais. Comment l’avez-vous vécu ?
J’adorais mes élèves et j’en garde un très bon souvenir. De plus, les matières que j’enseignais me passionnaient. Mais je ne vivais pas très bien ma situation professionnelle. Le contexte scolaire ne me correspondait vraiment pas. Je n’aimais pas être obligée d’avoir une relation hiérarchique avec les élèves. J’avais l’impression que ce n’était pas épanouissant pour eux. Je les voyais malheureux à cause d’un système pourtant censé devoir les aider. Ce n’était donc pas la meilleure période de ma vie.

Sur votre site officiel, on peut lire dans votre description : « une adorable névrosée dont la grande gueule dissimule tant bien que mal une vraie délicatesse. » Dans quelle mesure cette phrase vous définit-elle ?
Elle me définit complètement. Même en dehors de la maladie mentale, j’ai toujours abordé le monde de façon très anxieuse et un peu étrange. Aujourd’hui, je suis très contente parce que ce côté névrosé fait partie intégrante de mon travail. Je n’ai pas à le cacher, au contraire ! Ensuite oui, j’ai clairement une grande gueule. J’ai toujours été incapable de la fermer, mais vraiment incapable [rires] ! Et derrière tout ça, il y aussi une grande sensibilité.
J’ai toujours été incapable de la fermer, mais vraiment incapable [rires]
Vous êtes particulièrement reconnaissante des rencontres qui vous ont aidée à être là où vous êtes aujourd’hui. Pouvez-vous en citer quelques-unes ?
Tout d’abord, il y a l’humoriste belgo-québécois Dan Gagnon. C’est la personne qui m’a fait prendre conscience de mon talent comique. Il m’a proposé d’être co-auteure pour son émission de télé et c’est comme ça que j’ai mis un pied dans l’humour. Il y a aussi, Hannah Gadsby que je n’ai pas vraiment rencontrée. Mais regarder son spectacle a été un véritable déclic pour moi. Enfin, Léo Domboy, mon attachée de presse qui est tellement plus que ça. C’est à la fois une sorte de directrice artistique, une amie, une mère. Elle m’a encouragé à parler de mon vécu et de mes névroses alors que j’étais persuadée qu’on allait me jeter des chaises dessus si je le faisais sur scène. Elle m’a dit : « On trouvera un théâtre qui a des sièges fixés au sol » [rires]. J’ai aussi la chance d’être bien entourée. Il y a des personnes qui me permettent de pouvoir faire mon métier, par exemple en gardant mon fils ou mon chien. J’en suis vraiment reconnaissante. Aujourd’hui, j’apprends à moins dire « désolée » et surtout, à dire « merci ».
En un temps record, vous êtes devenue une humoriste et une chroniqueuse reconnue. Pouvez-vous évoquer les moments clés de votre carrière ?
2016 était une grande année. En mars, j’ai joué mon tout premier sketch sur la scène ouverte du Kings Of Comedy Club à Bruxelles. En juin, j’ai fait la première partie du seul-en-scène de Guillermo Guiz. En septembre, j’ai refait la première partie du spectacle qu’il faisait avec Laurence Bibot. En octobre, j’ai fait mes débuts à la radio sur La Première. Ensuite, en 2017, j’ai joué mon spectacle pour la première fois. En 2018, j’ai remporté la victoire de la scène ouverte du Voo Rire de Liège. Depuis 2020, je suis chroniqueuse pour l’émission Piquantes ! sur la chaîne TÉVA et j’ai aussi rejoint l’équipe de La Bande Originale sur France Inter en 2021.
Votre premier seule-en-scène s’appelait Oh et puis merde avant de s’intituler Délicate. Avec le temps, il a beaucoup évolué. Pouvez-vous nous en parler ?
Oh et puis merde, c’était un point de vue de meuf sur sa vie de mère, de prof et ses amours, mélangé à quelques touches engagées. Ce n’était pas révolutionnaire. En mars 2017, je le jouais pour la première fois. Environ six mois plus tard, je suis tombée malade. Je souffrais d’un trouble anxieux qu’on appelle trouble panique. J’ai donc arrêté de jouer et je me suis soignée. En 2019, j’ai décidé d’oser parler de mes émotions et j’ai commencé à aborder ces sujets plus difficiles dans Délicate.
Sur l’affiche de votre spectacle, on vous voit dans une magnifique robe bleue avec une épée et un gant de fer. Qu’est-ce que cela symbolise ?
À la base, j’avais simplement choisi une jolie photo de moi. Ensuite, j’ai eu envie que l’affiche soit plus à mon image et j’y ai donc réfléchi avec Léo Domboy. Je voulais porter du bleu car c’est la couleur de l’autisme et que je suis autiste. Mon amie couturière, Charlotte Bartholomé, m’a créé cette jolie robe bleue très délicate avec des petites fleurs et des oiseaux.
Le cerveau a ses propres maux et ses propres failles, comme n’importe quelle autre partie du corps.
De plus, il fallait exprimer une dimension guerrière à la fois pour mon côté engagé et pour le combat que j’ai mené pour soigner mes problèmes psychologiques. C’est l’épée que je tiens sur l’affiche. C’est aussi un clin d’œil à Léo Domboy que je surnomme « La dame du lac » parce qu’elle est rousse avec de grands yeux bleus. C’est ce personnage mythique qui donne l’épée au roi Arthur et j’ai l’impression que Léo a fait pareil avec moi. Elle m’a donné une épée magique. Enfin, le gant que je porte symbolise la protection. Je suis contente car cette affiche reflète vraiment qui je suis en tant qu’artiste.
La santé mentale est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur. Pourquoi est-ce important pour vous d’aborder le sujet sur scène ?
Tout d’abord parce que c’est un sujet qui est extrêmement tabou. Et je crois que de manière générale, le tabou tue. Certains ont souffert d’un trouble panique et se sont suicidés en étant persuadés qu’il n’y avait pas d’autre solution. Il faut absolument normaliser le fait de ne pas forcément aller bien. Le cerveau a ses propres maux et ses propres failles, comme n’importe quelle autre partie du corps. Et il ne faut pas en avoir honte au même titre qu’un cancer ou qu’une fracture. Beaucoup de gens souffrent d’une maladie mentale. Or, cette souffrance est souvent perçue comme moins légitime sous prétexte qu’elle ne se voit pas concrètement. C’est d’ailleurs complètement débile. Quand je débarque aux urgences pour dire que je vais mourir parce que j’en suis persuadée à cause de mon trouble panique, il me semble que la souffrance se voit. Il faut à tout prix parler de santé mentale parce que l’ignorer ne fait qu’aggraver les problèmes.
Pouvez-vous revenir sur votre vécu lié à votre trouble panique pour illustrer l’importance de briser le tabou autour de la santé mentale ?
Souffrir d’un trouble panique a été absolument terrible. J’ai failli en mourir. Je me souviens d’un jour où j’étais près de la fenêtre. Je ne ressentais plus rien. C’était le vide. Je ne ressentais ni peur, ni tristesse, ni joie, ni amour. Rien. C’est impossible de l’imaginer quand on ne l’a pas vécu. Ce jour-là, je me suis dit : « Mais je suis morte, il n’y a plus rien dans ce corps. » Et si quelqu’un m’avait dit : « En fait, tu sais, c’est une maladie, ça se soigne super bien. Plein de gens avant toi sont passés par là et s’en sont sortis. » Rien n’aurait été plus rassurant.
Jusqu’au bout, ce sera mon combat. Parler de santé mentale, ça sauve des vies.
Heureusement, j’ai eu la chance de me soigner. Quand tu vas chez le psychiatre, tu remplis le questionnaire en fonction de tes symptômes et tu réalises que ce questionnaire a été adressé à des milliers de personnes et que ces gens-là vont bien maintenant. Ça donne tellement d’espoir. Il faut donc absolument parler de tout ça. Jusqu’au bout, ce sera mon combat. Parler de santé mentale, ça sauve des vies.
En parallèle à votre spectacle, vous êtes chroniqueuse pour l’émission Piquantes présentée par Nicole Ferroni sur TÉVA. Vous êtes aux côtés d’Elodie Poux, Christine Berrou, Thaïs Vauquières et Laura Domenge. En quoi cette expérience est-elle bénéfique ?
On connaît la métaphore selon laquelle il manque une pièce au puzzle. De mon côté, j’étais la pièce à laquelle il manquait tout le puzzle [rires]. Piquantes est un puzzle au milieu duquel il y avait un trou qui avait exactement ma forme. Et c’est ce puzzle qui m’a donné du sens. Cette expérience m’a appris la force de la sororité. C’est extraordinaire. Souvent, on a des commentaires qui disent qu’on doit probablement se tirer dans les pattes entre filles. Mais alors pas du tout ! On est même parties en vacances toutes ensemble et c’était génial. Autre exemple, j’ai eu une attaque de panique à Paris à 3h du matin et j’ai appelé Thaïs Vauquières. Elle a traversé la ville pour m’accompagner aux urgences et attendre des heures. Ça m’a fait tellement de bien et on a même fini par avoir une crise de fou rire.
Vous êtes aussi chroniqueuse dans La Bande Originale présentée par Nagui sur France Inter. Qu’est-ce que ça fait d’intégrer une telle équipe ?
Participer à La Bande Originale, c’est vraiment le Graal de l’humoriste. Lorsque le directeur des programmes de France Inter m’a contactée, je n’en croyais pas mes oreilles. A tel point que je n’en ai parlé à personne pendant une semaine. Ensuite, Nagui m’a téléphoné pour me souhaiter la bienvenue dans l’équipe, j’étais super impressionnée. Pour l’instant, je me mets beaucoup la pression, mais c’est un vrai bonheur de vivre cette expérience. Je sais que j’ai beaucoup de chance et j’en suis très reconnaissante.
Retrouvez Florence Mendez dans son spectacle Délicate tous les jeudis soirs à 21h30 au Théâtre Le Métropole. Pour suivre son actualité, rendez-vous sur Instagram ou Facebook.

© Photo de couverture : Dennis Lomme