
Jerrod Carmichael, tout simplement génial
L’humoriste Jerrod Carmichael est de la caste des innovateurs. Son talent semble sans limite, comme en atteste 8, son superbe special réalisé en 2017 par Bo Burnham.
Jerrod Carmichael a commencé à faire parler de lui en 2014 avec la sortie de son premier spectacle, Love, mis en image par Spike Lee. On y voit un jeune homme au physique d’ado un peu frêle mais déjà plein d’assurance. Sorti en 2017 pour HBO, le special 8 en est le prolongement. Le décor, la mise en scène et le cadrage offrent l’écrin idéal à la démonstration pleine de panache de l’artiste.
Tout d’abord, le contexte : le spectacle est enregistré immédiatement après l’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Donald Trump. Jerrod Carmichael décrit en quelques mots ce que va être la vie des Américains avec le magnat de l’immobilier aux commandes. L’humoriste s’en prend aux élites de gauches étasuniennes qu’il accuse d’avoir permis son ascension. Le public présent, venu en robe de soirées et smoking, est clairement visé. Il le sera souvent durant la soirée.

Jerrod Carmichael s’est habillé casual pour jouer son show. Veste et pantalon en jean, T-shirt gris et Timberland en nubuck aux pieds. Une dégaine qui jure avec le lieu choisi pour capter l’événement : la grande salle de la Loge Maçonnique de New York. Un décor à la Eyes Wide Shut qui tranche avec le discours radical et drôle de l’humoriste.
L’élite blanche américaine est systématiquement prise à partie dans le show. Le public a beau réagir, parfois négativement, peu importe. Ce soir, le maître de cérémonie est un homme noir de 27 ans qui a grandit dans la misère et l’ultra violence. Jerrod Carmichael le rappelle dans ce spectacle qui lui sert de caisse de résonance : être noir aux États-Unis, comme dirait le chanteur Renaud, c’est vraiment pas une sinécure.
Revanche sociale
Dans le spectacle, Jerrod Carmichael attaque plusieurs de ces thèmes qui sont au cœur des préoccupations de la classe libérale blanche US. Comme par exemple le réchauffement climatique qui provoque la montée des eaux. Mais pour le jeune homme noir qu’il est et qui a vu le jour dans un ghetto, tout ça lui paraît tellement loin. L’humoriste le dit sans ambage : il n’a pas que ça à faire et s’en fout des générations futures. Il ne les connaît pas et n’envisage pas d’avoir d’enfants.

Le droit à l’avortement ou le mariage, sont pour l’humoriste des préoccupations de la classe dominante. Pour Jerrod, ce n’est pas son problème. Lui, ce qu’il veut, c’est s’acheter le plus de céréales ou de sneakers possible. Parce qu’il a trop manqué dans son enfance. L’humoriste a vécu dans la misère et veut qu’on le laisse tranquille avec les injonctions bourgeoises.
Dans 8, la colère froide et la rage sociale sont omniprésentes. Chez Jerrod, elle s’exprime dans le plus grand calme, le tout est finement enrobé dans un bel emballage. Le stand-uppeur assène ses coups dans la plus pure délicatesse. Et quand le sujet s’avère brûlant, il désamorce en prévenant l’auditoire, car il sait que ce qui suit, va provoquer une commotion.
Stand-up
2017
Réalisé par Bo Burnham
Écrit par Jerrod Carmichael
©Photo de couverture : OCS